Introduction. Covid-19, droit et action publique

Résumé

L’appel à contributions lancé à la fin du premier confinement lié au virus de la Covid-19, en mai 2020, soulignait le caractère inédit de la crise sanitaire. Deux ans plus tard, le soulagement d’un retour à la normale ne doit pas masquer l’importance de la rupture créée par cette crise inédite. Le système de santé a été et reste encore en première ligne. De même, l’ensemble de notre organisation, politique, économique et sociale, sommée de répondre à ce défi mondial, a été fortement ébranlé. L’introduction de ce dossier revient sur le caractère global des politiques qui ont été menées au cours de ces deux dernières années mettant ainsi en perspective les différentes contributions qui composent ce dossier.

Index

Mots-clés

crise sanitaire, Covid-19, pandémie, droit, action publique, gouvernementalité, santé publique

Plan

Texte

1. Le normal, le pathologique et l’exceptionnel

L’appel à contributions lancé à la fin du premier confinement lié au virus de la Covid-19, en mai 2020, soulignait le caractère inédit de la crise sanitaire. Nous étions sous le coup de la sidération. Deux ans plus tard, l’épidémie est toujours présente, mais nous ne vivons plus au gré des restrictions sanitaires et des gestes barrières. La sidération et l’anxiété ont laissé la place à une forme de lassitude face à l’installation durable de ce temps exceptionnel. Le soulagement d’un retour à la normale ne doit pas en effet masquer l’importance de la rupture créée par cette crise inédite. Le système de santé a été et reste encore en première ligne. De même, l’ensemble de notre organisation, politique, économique et sociale, sommée de répondre à ce défi mondial, a été fortement ébranlé. Pour autant, il est difficile d’appréhender la mesure exacte des conséquences de cette pandémie et les transformations qui en résulteront de manière plus durable.

2. Le regard du juriste

Il est important que le juriste participe à ce travail de mise en lumière des conséquences de la crise sanitaire sur le droit. L’arsenal mis en branle pour faire face à la pandémie mondiale de Covid-19 a aussi et surtout été juridique. Il a fallu habiliter les acteurs publics et privés à agir autrement et urgemment. Consécutivement, la densification normative s’est accrue, confinant parfois à une forme de gesticulation stroboscopique. Il est alors nécessaire de disposer de quelques guides juridiques. D’abord, le juriste spécialiste est à même de comprendre le sens et la portée des mesures d’exception qui ont été déployées dans les différents champs de la société. Ensuite, l’analyse juridique permet de décrire les techniques et les procédés employés au cours de la crise sanitaire par les pouvoirs publics. En somme, l’analyse juridique de (x) [Encinas de Munagorri, Herrera, Leclerc, 2019], (x) étant ici la crise sanitaire, contribue à n’en pas douter à une meilleure compréhension de nos sociétés éprouvées par cet événement global.

3. L’adaptation du système de santé

Le regard s’est porté en premier lieu sur le système de santé. De nombreuses questions juridiques et éthiques ont émergé autour des recherches médicales sur les personnes malades, les usages hors autorisation de mise sur le marché de certains médicaments, la confidentialité des données de santé, l’accès de tous les patients aux soins – que cela soit à l’hôpital ou en ville. La contribution de Sophie Dumas-Lavenac ouvre la réflexion sur les enjeux éthiques liés aux recherches impliquant la personne humaine. Ainsi s’interroge-t-elle sur la capacité des principes éthiques de résister face à l’impératif de lutte contre l’épidémie et de ne pas entièrement ployer devant.

4. L’adaptation de la vie sociale

Le système de santé n’est pas seul à avoir été mis à l’épreuve. La crise sanitaire de la Covid-19 est en effet une crise de santé globale qui oblige à prendre en compte l’ensemble des déterminants sociaux et environnementaux présents aux différentes échelles de la vie sociale, de l’échelle transnationale au niveau le plus local. Elle questionne le modèle économique actuel, l’organisation de la production mondiale et leurs effets délétères sur la santé et l’environnement. Elle questionne aussi la capacité des pouvoirs institués à agir, à s’adapter, voire à se remettre en cause, interrogeant les fondements de la démocratie et de l’État de droit.

Chacun a pu appréhender ce caractère global. La crise a rejailli sur tous les aspects de la vie sociale. Depuis des mois, elle est devenue le motif et la justification de la plupart des décisions prises pour organiser la vie à l’école, dans les commerces, dans les transports, dans les lieux de culture et de loisirs tels que les théâtres, les musées et les salles de sport. En particulier, elle a affecté profondément les conditions de travail, que ce soient celles des travailleurs salariés du secteur privé, des travailleurs indépendants et libéraux ou des agents du secteur public.

Katell Richard analyse ainsi de nombreux accords collectifs conclus au cours de la crise sanitaire qui ont modifié, dans des conditions dérogatoires à la loi et sur la base d’une ordonnance prise dans le cadre de l’état d’urgence, les droits aux congés des salariés du secteur privé. Hélène Muscat revient pour sa part sur les impacts de la crise sanitaire sur le développement du télétravail dans la fonction publique, ce contexte ayant agi comme un accélérateur d’une modalité de travail qui a été imposée de manière massive et brutale et a mis largement à l’épreuve la capacité d’adaptabilité des services publics et de leurs agents. Enfin, avec Laurent Rousvoal et Philip Milburn, nous livrons les premiers résultats, encore sous forme d’hypothèses, d’une enquête menée à l’égard des praticiens du droit qu’ils soient avocats, magistrats du siège ou du parquet et dont l’objet est d’apprécier l’impact du premier confinement sur leur activité. S’intéressant au point de vue des acteurs du service public de la justice, l’enquête montre que la crise révélerait et/ou actualiserait des fragilités préexistantes, mais serait marquée néanmoins par des évolutions affectant l’activité des praticiens du droit, en particulier celles liées à l’envahissement du numérique du fait de la porosité entre télétravail et modification de la procédure judiciaire elle-même.

À la lecture de ces contributions, on mesure mieux comment la crise sanitaire et la nécessité de préserver la santé de tous ont été de puissants mots d’ordre pour justifier une réorganisation rapide des conditions de travail. Surtout, lues ensemble, ces contributions donnent à voir quelques-uns des procédés juridiques auxquels les pouvoirs publics ont eu recours pour imposer les changements attendus des rapports et des comportements sociaux, tout en se souciant de les rendre acceptables par les destinataires de ces normes.

5. L’adaptabilité des normes et la gouvernementalité des corps

Les domaines étudiés offrent en effet des exemples de la densification normative déjà évoquée. Celle-ci consiste non seulement dans une accélération de la production normative, mais aussi dans une diversification et une dispersion des normes produites, voire parfois dans leur liquéfaction. À cet égard, la contribution de Josépha Dirringer consacrée aux petites sources du droit du travail s’attache à analyser l’essor au cours de la crise sanitaire de nouvelles catégories de normes. Élaborées par le ministère du Travail, ces normes prétendument non contraignantes renvoient aux acteurs de l’entreprise le soin de les transcrire au sein de normes internes. Sous couvert d’autonomie des acteurs et suivant une logique éprouvée de déconcentration de la production normative, c’est sur eux que repose la responsabilité de la mise en œuvre effective des mesures de santé publique. Dans ce contexte, le comportement attendu résultant de la règle déontique est le résultat d’un complexe de normes dont l’application en bout de chaîne semble constituer moins une contrainte imposée par l’État qu’un assujettissement volontaire de la part des individus qui, à défaut d’avoir été convaincus de la nécessité de se comporter conformément aux recommandations, y sont incités. En d’autres termes la crise a admirablement mis en lumière cet alliage de normativités où non seulement l’impératif de santé se mêle à l’impératif de continuité des activités sociales, que ce soient celles organisées au sein des services publics ou que ce soient les activités économiques des entreprises, où les injonctions à respecter les gestes barrières et la distanciation physique consistent dans un mélange entre logique disciplinaire et logique incitative et où l’on peine à démêler ce qui relève de la responsabilité collective et de la responsabilité individuelle de chacun.

Les procédures d’implication des acteurs dans l’élaboration et l’application des normes sont des rouages importants des politiques de santé globale. Il y va de l’effectivité des mesures prescrites. Il importe au maximum d’acculturer les individus à ces nouvelles normes, de les normaliser et de faire en sorte qu’elles s’incorporent aux activités humaines, et ce au sens plein du terme. En dépit de l’urgence, ce processus d’acculturation s’inscrit dans la durée. Le temps passe et progressivement les individus font leurs les normes et les concepts charriés par les politiques de santé publique. La contribution de Louis Hill offre sur ce point des clés très précieuses pour comprendre les mécanismes et les modes de raisonnement qui sont à l’œuvre. Ainsi voit-on se dessiner la « pente glissante » suivant laquelle les individus sont conduits, doucement mais sûrement, à considérer qu’une règle d’exception et exceptionnelle puisse être érigée en règle.

Le caractère global de la crise sanitaire s’appréhende d’autant mieux que l’on ne perd pas de vue la dimension internationale de l’événement. Une perspective internationale est une invitation à la comparaison. Cela conduit tantôt à porter un regard plus critique sur les mesures décidées au niveau national, tantôt à mieux se rendre compte de l’éventail des mesures possibles, tantôt encore à mesurer l’importance que recouvre le contexte juridico-politique et socio-économique dans lequel se déploie une politique de santé globale. Pointant les risques que cette crise fait peser sur les droits humains, la contribution de Fulgence Koffi montre ainsi ce qu’il y a d’universel dans les interrogations et les craintes suscitées par la manière dont les pouvoirs publics luttent contre la Covid-19. On aurait préféré observer que le caractère universel de cette crise justifie un élan de solidarité à l’échelle internationale et non, comme on peut le déplorer, un repli sur soi des États-nations.

Bibliographie

Encinas de Munagorri R., Herrera C. M., Leclerc O., 2019, « Qu’est-ce que l’analyse juridique de (x) ? Pour une explicitation », Droit et société, vol. 103, n° 3, p. 609-628

Citer cet article

Référence électronique

Josépha Dirringer et Marie Mesnil, « Introduction. Covid-19, droit et action publique », Amplitude du droit [En ligne], 1 | 2022, mis en ligne le 21 juin 2022, consulté le 20 avril 2024. URL : https://amplitude-droit.pergola-publications.fr/index.php?id=320 ; DOI : https://dx.doi.org/10.56078/amplitude-droit.320

Auteurs

Josépha Dirringer

Maîtresse de conférences, Univ Rennes, CNRS, IODE – UMR CNRS 6262 ; josepha.dirringer@univ-rennes1.fr

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Marie Mesnil

Maîtresse de conférences, Univ Rennes, CNRS, IODE – UMR CNRS 6262 ; marie.mesnil@gmail.com

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