Dans sa décision Association Générations futures du 19 mars 2021, le Conseil constitutionnel a donné un effet utile à une décision de censure pour méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement pour « la seconde fois1 ». Ce faisant, il a réveillé le paradoxe du grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement dans sa jurisprudence QPC (Question prioritaire de constitutionnalité) : l’inconstitutionnalité sans l’effet utile.
L’article 7 de la Charte de l’environnement dispose que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Cet article a constitutionnalisé les principes d’information et de participation du public. Ces deux principes trouvent leur origine dans le droit international de l’environnement, dont l’instrument de protection le plus perfectionné est la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement2. En 1995, de tels principes avaient été transposés en droit français avec la loi dite Barnier3, qui les a introduits à l’article L. 200-1 du Code rural. Cinq ans plus tard, cet article a été transféré à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement4. La loi Barnier était néanmoins très trompeuse car sa « rédaction mélangeait droit à l’information et principe de participation » (Prieur, 2019, p. 157). La loi relative à la démocratie de proximité remédia partiellement à cette maladresse rédactionnelle en posant une nouvelle équation : principe de participation au sens large = principe d’information + principe de participation au sens strict5. En effet, à compter de son entrée en vigueur, l’article L. 110-1 du Code de l’environnement disposait que « le principe de participation [est celui] selon lequel chacun a accès aux informations relatives à l’environnement » et que « le public est associé au processus d’élaboration des projets ayant une incidence importante sur l’environnement ou l’aménagement du territoire ». C’est finalement l’article 7 de la Charte de l’environnement, puis la loi relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini par lui qui ont acté leur séparation6. En tout état de cause, au même titre que le principe de précaution, le principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et le principe pollueur-payeur, les principes d’information et de participation relèvent des « principes généraux du droit de l’environnement » pionniers7. Avec l’accès à la justice, ils constituent également deux des trois faces du concept de « démocratie environnementale »8.
Conséquence nécessaire de leur constitutionnalisation, les principes d’information et de participation du public sont invoqués devant le Conseil constitutionnel. D’ailleurs, dans sa jurisprudence, parmi les dix articles de la Charte, l’article 7 est celui qui est le plus invoqué9. Parmi les deux principes que cet article a constitutionnalisés, c’est néanmoins quasi systématiquement la participation qui est invoquée. Cette éclipse du principe d’information par le principe de participation du public dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel s’explique essentiellement par le fait que les conditions et les limites du droit de toute personne d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques sont suffisamment définies par la loi10. Le principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement est donc la norme de référence principale du contrôle de « constitutionnalité environnementale » des lois. Il s’applique tant dans le cadre du contrôle de constitutionnalité selon l’article 61 de la Constitution11, que dans le cadre des procédures prévues à ses articles 37, alinéa 212, et 61-1. La QPC en constitue d’ailleurs le terrain d’application privilégié13.
Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement dans la jurisprudence QPC du Conseil constitutionnel a déjà fait l’objet de commentaires sous les décisions constitutives de cette jurisprudence14. Il a également fait l’objet d’études plus générales portant, d’un côté, sur les rapports du Conseil constitutionnel à la Charte de l’environnement (Denoix de Saint-Marc, 2012 ; Prieur et al., 2014 ; Chevalier, Makowiak, 2020 ; Rrapi, 2021), de l’autre, sur le principe de participation en général (Van Lang, 2014 ; Fonbaustier, 2015). En revanche, à notre connaissance, exception faite d’une étude récente articulée autour de la définition du droit de participer (Fleury, 2020), les articles spécifiques qui y ont été consacrés sont rares. C’est la raison pour laquelle la présente étude sera, quant à elle, construite autour du paradoxe relevé précédemment : l’inconstitutionnalité sans l’effet utile.
Ce paradoxe suppose, à titre liminaire, de définir l’effet utile. D’après le Conseil constitutionnel, l’effet utile signifie qu’« en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel15 ». Cette conception de l’effet utile défini par référence au bénéfice que l’auteur de la QPC tire de la déclaration d’inconstitutionnalité est restreinte. En effet, une conception plus large peut amener à considérer que les déclarations d’inconstitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 ont un effet utile, non seulement dans la mesure où elles produisent des effets à compter d’une certaine date, mais également lorsqu’elles entraînent des changements de législation permettant, notamment, à la participation du public de se déployer là où elle n’existait pas. Mais, dans ces hypothèses, l’effet utile n’est qu’indirect et médiat. C’est la raison pour laquelle nous en retiendrons une définition restreinte au sens que lui donne la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans cette mesure, l’inconstitutionnalité sans l’effet utile signifie, appliqué au grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement, que le Conseil constitutionnel tend à l’accueillir tout en privant l’auteur de la QPC du bénéfice de la déclaration d’inconstitutionnalité. La présente étude entend, à partir des décisions QPC du Conseil constitutionnel dans lesquelles ce dernier était saisi d’un grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement et de leurs commentaires officiels, systématiser non seulement la nature juridique spécifique de ce grief d’inconstitutionnalité, mais également la manière particulière dont le Conseil constitutionnel exerce ses pouvoirs afin de le traiter. Au-delà de cet intérêt juridique et théorique, cette étude présente également un intérêt pratique en ce sens qu’un tel paradoxe défavorise le contrôle de légalité externe des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.
Nous démontrerons, dans un premier temps, que ce grief est source d’une inconstitutionnalité particulière (1), puis, dans un second temps, que cette dernière est elle-même source d’une déclaration à l’effet inutile (2).
1. Un grief, source d’une inconstitutionnalité particulière
Premier élément constitutif du paradoxe du grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement dans la jurisprudence QPC du Conseil constitutionnel, ce grief est source d’une inconstitutionnalité particulière. L’inconstitutionnalité est particulière, d’une part, parce que, proportionnellement, elle entache davantage les dispositions législatives que les autres inconstitutionnalités comme nous le verrons ultérieurement. Elle est particulière, d’autre part, en ce qu’elle est non seulement une inconstitutionnalité conditionnée, la Haute instance contrôlant préalablement la qualification constitutionnelle faite par le législateur (1.1), mais également une inconstitutionnalité négative, le Haut Conseil contrôlant subséquemment la carence du législateur (1.2). D’ailleurs, ces deux particularités du contrôle de conformité d’une disposition législative au principe de participation du public font parfois l’objet d’un examen dont la séparation est matérialisée par des intitulés spécifiques16.
1.1. Une inconstitutionnalité conditionnée
Le principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte impose au Conseil constitutionnel de vérifier qu’une décision publique est « de nature à » avoir une incidence sur l’environnement. En d’autres termes, il lui impose de rechercher si une telle décision entre dans son champ d’application.
Il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que constituent des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement les décrets de nomenclature qui déterminent le régime applicable aux installations classées17, les projets de règles et prescriptions techniques que doivent respecter les installations classées pour la protection de l’environnement et les projets de prescriptions générales que doivent respecter les installations classées pour la protection de l’environnement soumises à enregistrement18, les dérogations aux mesures de préservation du patrimoine biologique19, les décisions administratives délimitant les zones de protection d’aires d’alimentation des captages d’eau potable20, le classement et le déclassement de monuments naturels ou de sites21, le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie et le schéma régional éolien qui en constitue une annexe22, les décisions de classement des cours d’eau au titre de la protection aquatique23, les décisions établissant les servitudes d’implantation de pylônes supportant une ligne électrique aérienne24, les décisions réglementaires qui fixent les conditions d’exercice de l’activité d’élimination de certains déchets par leur producteur ou leur détenteur25, la décision autorisant l’exploitation d’une installation de production d’électricité26, ainsi que les chartes d’engagements départementales relatives à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques27.
La motivation de ces décisions est casuistique et ultra minimale. En règle générale, le Conseil constitutionnel se borne à rappeler la ou les dispositions législatives pertinentes et/ou leur signification, puis à considérer que les décisions résultant des dispositions contestées entrent dans le champ d’application de l’article 7 de la Charte de l’environnement28. Cette motivation casuistique et ultra minimale est parfois précisée à la marge par les commentaires autorisés des décisions29. Elle l’est parfois directement par les décisions elles-mêmes. C’est ainsi que, dans la décision du 28 mai 2020, le Conseil constitutionnel a ajouté une précision afin de répondre aux arguments présentés au soutien de la constitutionnalité des dispositions contestées30, elle-même précisée par le commentaire autorisé de ladite décision31. C’est de même que, dans la décision du 19 mars 2021, il s’est référé non seulement aux « effets juridiques », mais également à l’« incidence directe et significative sur l’environnement » des chartes d’engagements départementales relatives à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques résultant du paragraphe III de l’article L. 253-8 du Code rural et de la pêche maritime32.
En revanche ne constituent pas des décisions ayant une incidence sur l’environnement au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement les décisions relatives aux emplacements de bâches comportant de la publicité et à l’installation de dispositifs publicitaires de dimensions exceptionnelles liés à des manifestations temporaires33, la définition du régime applicable à l’installation des enseignes lumineuses34, les autorisations de travaux de recherches35, les délimitations du domaine public maritime naturel36, la décision de fixation de normes techniques dans le bâtiment destinées à imposer l’utilisation de bois dans les constructions nouvelles37, ainsi que la décision de rendre opposables par anticipation certaines dispositions du projet de plan de prévention des risques naturels prévisibles38.
La motivation de ces décisions-là est légèrement plus approfondie39 puisque le Conseil constitutionnel se réfère parfois aux caractères « non significatif40 » ou « indirect41 » de l’incidence sur l’environnement des décisions publiques résultant des dispositions contestées. Ce léger surplus de motivation s’explique sans doute compte tenu de la nature négative du refus de qualification de « décision publique ayant une incidence sur l’environnement » et de ses conséquences contentieuses. Un tel refus entraîne en effet la mise à l’écart ou l’inopérance du grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement – la jurisprudence du Conseil constitutionnel étant particulièrement confuse sur ce point. Mais, en tout état de cause, la référence à l’incidence « non significative » ou « indirecte » de la décision publique sur l’environnement n’est pas suffisante dans la mesure où ces caractères, comme la notion de « décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » d’ailleurs, ne sont pas autre chose que des énoncés normatifs qui sont, par définition, indéterminés et qui justifient, à ce titre, une pleine motivation.
Indépendamment du degré de suffisance de sa motivation, la notion de « décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » fait l’objet d’une interprétation relativement large (Leost, 2013). Cette interprétation pourrait être encore davantage élargie si le Conseil constitutionnel osait y inclure les lois ainsi que les ordonnances auxquelles les pouvoirs publics ont (trop) fréquemment recours en la matière (Prieur, 2014, p. 15-16). Si elle était reprise par le Conseil, cette perspective proposée par M. Prieur serait néanmoins manifestement incompatible avec l’intention du législateur constitutionnel du 1er mars 2005 qui a utilisé le terme « décisions » à dessein pour que seuls les actes du pouvoir réglementaire soient concernés. Une telle extension aurait, en tout état de cause, pour effet de transformer le moyen tiré de la méconnaissance de la participation du public en moyen de constitutionnalité externe qui ne pourrait pas être invoqué dans le cadre de la procédure prévue à l’article 61-1 de la Constitution.
1.2. Une inconstitutionnalité négative
Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement est, par ailleurs, source d’une inconstitutionnalité négative, le Conseil constitutionnel contrôlant subséquemment la carence du législateur. Une telle affirmation appelle une brève observation théorique liminaire. En tant que normes juridiques caractérisées par la logique déontique, les normes constitutionnelles imposent deux grands types d’obligations à leur destinataire principal : le législateur. Les premières sont des obligations « négatives », « de ne pas faire ». Les secondes sont des obligations « positives », « de faire ». La méconnaissance des premières est source d’inconstitutionnalités positives. La violation des secondes est, quant à elle, source d’inconstitutionnalités négatives. Cette seconde catégorie « désigne la situation dans laquelle une disposition est inconstitutionnelle “non pas pour ce qu’elle dit” mais pour ce “qu’elle ne dit pas” » (Boulet, 2011, p. 759).
Dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l’inconstitutionnalité négative concerne traditionnellement les règles de compétence et prend le nom d’« incompétences négatives » (Cons. const., 2010 ; Garcia, 2015). Néanmoins, elle s’étend également aux règles de fond, dont fait partie le principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement. Ce dernier impose une obligation positive de faire au législateur, celle de prévoir ladite participation à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement en en définissant « les conditions et limites ». La méconnaissance de cette « obligation de légiférer » (Garrigou-Lagrange, 1999 ; Henry-Menguy, 2008), sanctionnable par le juge constitutionnel, est source d’inconstitutionnalité négative (Vallée, 2009).
Les griefs tirés de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement et de l’incompétence négative entretiennent une relation ambivalente.
D’une part, comme l’illustrent sept décisions précitées42, le Conseil constitutionnel statue sur le grief tiré de la méconnaissance du principe de participation du public « en lien » avec celui tiré de l’incompétence négative du législateur43. Dans sa décision Association France Nature Environnement et autre, il a également statué sur ce premier principe « en lien » avec l’une de ses constructions jurisprudentielles, les garanties légales des exigences constitutionnelles (Vidal-Naquet, 2007), elle-même « en lien » avec celle relative aux incompétences négatives du législateur44.
D’autre part, l’article 7 a une « double portée ». En effet, « il fixe la compétence du législateur et il énonce un droit matériel constitutionnellement garanti45 ». Compte tenu de sa portée partiellement matérielle, le Conseil considère depuis sa première décision QPC en la matière que les dispositions de l’article 7 de la Charte « figurent au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit46 ». Par voie de conséquence, ni le critère de l’affectation d’un droit ou d’une liberté que la Constitution garantit47 ni la « théorie de l’état de la législation antérieure »48 ne lui sont transposables49. Preuve supplémentaire de leur différence, dans sa décision Fédération environnement durable et autres, le Conseil constitutionnel était saisi de deux griefs d’incompétence négative, l’un fondé sur l’article 7 de la Charte de l’environnement qui a conduit à une censure partielle des dispositions contestées, l’autre fondé sur l’article 34 de la Constitution lequel confie au législateur le soin de fixer les principes fondamentaux « de la préservation de l’environnement » qui a été écarté50. C’est ainsi que, d’après le commentaire autorisé de la décision Société Aprochim et autres, « l’article 7 de la Charte est un cas particulier d’incompétence négative, particularité résidant dans le caractère mixte de cet article, à la fois règle de compétence et règle de fond51 ».
Cette qualification résulte cependant d’une conception trop large du concept d’incompétence négative. Les décisions M. Antoine de M. et Société Aprochim et autres ne se réfèrent d’ailleurs pas à la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence mais à son abstention méconnaissant les exigences de l’article 7 de la Charte de l’environnement52. Il en ressort que le contrôle du Conseil constitutionnel porte, en réalité, sur la « carence du législateur53 ». La référence à son considérant de principe sur l’incompétence négative est donc surabondante. Son abandon participerait au recentrage de la jurisprudence du Conseil sur l’incompétence négative, « sur ce qui fait son identité, à savoir la méconnaissance d’une pure règle de répartition des compétences appréciée d’un point de vue hiérarchique » (Vidal-Naquet, 2015, p. 17).
Indépendamment du degré d’autonomie du grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte, l’examen de cet article a déjà permis au juge de la QPC de déclarer inconstitutionnelles dix dispositions législatives54, plus l’article L. 120-1 du Code de l’environnement55. Onze déclarations d’inconstitutionnalité sur dix-sept décisions (environ 65 %), c’est une fréquence environ deux fois supérieure à celle des déclarations de non-conformité sur l’ensemble des décisions QPC du Conseil constitutionnel (au 31 juillet 2023, environ 31 %). Cette propension supérieure du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement à frapper d’inconstitutionnalité les dispositions législatives déférées à la Haute Instance dans le cadre de la procédure prévue à l’article 61-1 de la Constitution est toutefois neutralisée par l’effet inutile que le Haut Conseil lui attache.
2. Une inconstitutionnalité, source d’une déclaration à l’effet inutile
Récemment mis en lumière par Théo Ducharme (2019), le concept d’« effet inutile des QPC » constitue la face opposée de celui d’effet utile au sens de la jurisprudence de la Haute Instance. Par symétrie, l’effet inutile signifie qu’à titre exceptionnel, la déclaration d’inconstitutionnalité ne doit pas bénéficier à l’auteur de la QPC et la disposition déclarée contraire à la Constitution peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Haut Conseil. Si l’effet utile est le principe et l’effet inutile l’exception, la jurisprudence QPC de la Haute Instance tend à inverser le sens de cette formule, spécifiquement lorsqu’elle est relative au grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte. En effet, sur les onze déclarations de contrariété au principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte, seules celles prononcées dans les décisions des 18 novembre 2016, Société Aprochim et autres, et 19 mars 2021, Association Générations futures et autres, bénéficient à l’auteur de la QPC56. Le bénéfice y est néanmoins limité. Dans la première décision, la déclaration d’inconstitutionnalité est une déclaration de « non-conformité de date à date » circonscrite temporellement à une période d’application de la loi contestée. Dans la seconde, les dispositions déclarées contraires à la Constitution dans leur rédaction contestée n’étaient plus en vigueur à la date de la décision. Les neuf autres déclarations ont été privées d’effet utile par le Haut Conseil qui a restreint leurs effets temporels. L’effet inutile des déclarations de contrariété de dispositions législatives au principe de participation du public est ainsi une conséquence de la restriction des effets temporels de la déclaration d’inconstitutionnalité (2.1), conséquence justifiée par des standards incantatoires (2.2).
2.1. L’effet inutile, une conséquence de la restriction des effets temporels de la déclaration d’inconstitutionnalité
Si l’effet utile des QPC est le principe, le Conseil constitutionnel a néanmoins considéré que les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent notamment à ce dernier le pouvoir de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration57.
La restriction des effets temporels des déclarations de contrariété à l’article 7 de la Charte de l’environnement prend la forme, d’une part, de déclarations d’inconstitutionnalité « à effet différé ». La déclaration d’inconstitutionnalité à effet différé signifie que le Conseil constitutionnel peut reporter dans le temps la date et les effets de l’abrogation. En principe, une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution est abrogée « à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ». Néanmoins, la Haute Instance a considéré que les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent notamment à ce dernier le pouvoir de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets58. C’est sur ce fondement que le Haut Conseil a différé l’effet des sept premières déclarations d’inconstitutionnalité prononcées pour méconnaissance du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte, restreignant ainsi leurs effets temporels. Dans un premier temps, il l’a fait implicitement59. Dans un second temps, il l’a fait explicitement en considérant « que les décisions prises, avant cette date, en application des dispositions déclarées inconstitutionnelles ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité60 ».
La restriction des effets temporels des déclarations de contrariété à l’article 7 de la Charte de l’environnement prend la forme, d’autre part, de déclarations d’inconstitutionnalité « de date à date ». La déclaration d’inconstitutionnalité « de date à date » est une technique à laquelle le Conseil constitutionnel recourt depuis 2014 et qui consiste en une déclaration d’inconstitutionnalité de la loi circonscrite à certains effets qu’elle a produits antérieurement à la décision de la Haute Instance. C’est ainsi que dans les décisions du 23 mai 2014 et du 28 mai 2020, le Conseil a prononcé une déclaration d’inconstitutionnalité « jusqu’à une certaine date », en considérant que les décisions prises sur le fondement des dispositions qui étaient contraires à la Constitution avant cette date ne peuvent plus être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité61. Dans la décision du 18 novembre 2016, le Haut Conseil a prononcé une déclaration d’inconstitutionnalité « de date à date » à proprement parler, estimant non seulement qu’il n’y avait pas lieu, en l’espèce, de reporter la prise d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions contestées, mais également que cette dernière « peut être invoquée dans toutes les instances introduites et non jugées définitivement à cette date62 ».
Cette déclaration d’inconstitutionnalité est la première qui a bénéficié à l’auteur de la QPC (la société Aprochim, spécialisée dans le traitement et l’élimination des déchets dangereux, dont le centre de traitement est une installation classée pour la protection de l’environnement soumise à autorisation…). C’est également la seule qui a été renvoyée au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation. En revanche, devant le juge administratif, cet effet inutile a pour conséquence la mise à l’écart des moyens tirés de la contrariété des dispositions législatives applicables aux litiges à l’article 7 de la Charte, qui sont relatifs à la légalité externe des actes administratifs attaqués63. L’effet inutile des déclarations de contrariété au principe constitutionnel de participation du public, combiné à la « logique procédurale » dans laquelle le juge administratif traite son équivalent législatif (Testard, 2020), participent ainsi au « déclin partiel du contrôle de légalité externe des actes administratifs unilatéraux » en général (sur cette expression, Mulier, 2019). Il lèse, aussi et surtout, les requérants. Selon qu’il s’agisse d’associations ou d’industriels pollueurs, cet effet utile est alternativement défavorable ou favorable à la protection de l’environnement. Le Conseil constitutionnel est tantôt « ennemi64 » ou tantôt « ami » de l’environnement (Robert, 2011). Dans le premier cas, un tel effet inutile dénature la ratio legis de la Charte de l’environnement, dont le sixième alinéa liminaire dispose « que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation » (Prieur, 2019, p. 157). Dans le second cas, il évite le détournement du grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte en une stratégie contentieuse (Chevalier, Makowiak, 2020). C’est dans la premier cas que l’effet inutile des déclarations de contrariété de dispositions législatives au principe de participation du public doit être critiqué, d’autant plus qu’il est justifié par des standards incantatoires.
2.2. L’effet inutile, une conséquence justifiée par des standards incantatoires
L’effet inutile des déclarations de contrariété de dispositions législatives au principe constitutionnel de participation du public est justifié par deux standards (Rials, 1980).
Le premier est relatif aux « conséquences manifestement excessives » de l’abrogation immédiate ou de la remise en cause des effets produits par la disposition législative déclarée contraire à la Constitution. Originaire du « grand arrêt » du Conseil d’État Association AC ! et autres65, ce premier standard, qui justifie tant la modulation temporelle des effets que la restriction des effets temporels de la déclaration d’inconstitutionnalité à proprement parler, se caractérise par son abstraction. Néanmoins, lorsque le Conseil constitutionnel diffère l’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité qu’il prononce, ce standard est parfois précisé. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel s’est référé au « seul effet de faire disparaître les dispositions permettant l’information du public sans satisfaire aux exigences du principe de participation de ce dernier66 », à « la conséquence d’empêcher toute dérogation aux interdictions précitées67 », aux « conséquences manifestement excessives pour d’autres procédures68 ». Cette première tendance à la précision du standard des « conséquences manifestement excessives » n’est pas propre à la jurisprudence QPC du Conseil constitutionnel relative au grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte. Elle est d’ailleurs plus développée dans d’autres domaines, notamment en matière pénale69. En sens inverse, ce standard est parfois également formulé au conditionnel. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel a considéré que l’abrogation immédiate de la déclaration d’inconstitutionnalité « pourrait avoir des conséquences manifestement excessives sans satisfaire aux exigences du principe de participation du public70 ». Cette seconde tendance à la formulation conditionnelle du standard des « conséquences manifestement excessives » est, quant à elle, propre à la jurisprudence QPC du Conseil constitutionnel relative au grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement.
Le second standard justifiant l’effet inutile des déclarations de contrariété de dispositions législatives au principe constitutionnel de participation du public est celui selon lequel « le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement71 ». Contrairement au premier standard, celui-là, originaire du Conseil constitutionnel et qui lui sert par ailleurs afin de justifier son self-restraint, ne motive que la modulation temporelle des effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel considère qu’il y a lieu de fixer à une date ultérieure la date d’abrogation des dispositions déclarées contraires à la Constitution afin de permettre au législateur « de remédier à l’inconstitutionnalité constatée72 », « d’apprécier les suites qu’il convient de donner à cette déclaration d’inconstitutionnalité73 ». Dans la première décision, l’intervention du législateur « a mis fin à l’inconstitutionnalité constatée74 ». Dans la seconde, son abstention, risque inhérent aux déclarations d’inconstitutionnalité « à effet différé », a eu pour effet de faire disparaître les dispositions législatives à la date d’abrogation fixée par le Conseil constitutionnel.
Incantatoires, ces standards gagneraient à être précisés. Le premier, les « conséquences manifestement excessives », pourrait faire l’objet d’une motivation plus approfondie afin que le Conseil constitutionnel ne s’y réfère plus dans le but de priver quasi systématiquement d’effet utile les déclarations d’inconstitutionnalité qu’il prononce. Le second standard, celui selon lequel « le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement », pourrait, quant à lui, être assorti d’une formule incitative à l’égard du législateur afin qu’il intervienne pour compléter la législation défaillante en prévoyant la participation du public pour l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement résultant des dispositions contestées. Un tel effort du juge constitutionnel lui permettrait de préciser les implications du principe de participation du public, d’autant plus lorsque les écritures des parties l’y invitent75, dans le respect du pouvoir général d’appréciation du Parlement, « autorité qui décide le “oui”, le “comment” et le “quand” » (Fernández Rodríguez, 1998, p. 344).
En définitive, c’est un approfondissement de la motivation des décisions QPC du Conseil constitutionnel relatives au grief tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement qui est nécessaire afin de remédier au paradoxe de la jurisprudence et de réserver l’effet inutile des déclarations de contrariété de dispositions législatives au principe de participation du public aux seuls cas où elles entraînent un vide juridique défavorable à la protection de l’environnement. Mais là où il y a un chemin, y aura-t-il une volonté du Conseil constitutionnel ? Rien n’est moins sûr.