Le point de vue de l’archiviste : plus de deux cents ans d’archives à analyser et à repérer à la Cour de cassation

DOI : 10.56078/amplitude-droit.712

Résumé

Les Archives nationales conservent les documents de la Cour de cassation depuis le début du xxe siècle. Les missions de l’archiviste sont de collecter, conserver et communiquer les archives. C’est pour cette raison que les agents du département de la Justice et de l’Intérieur ont pour principal objectif de rendre accessible au plus grand nombre ces documents dans le respect de la réglementation en vigueur (Code du patrimoine et règlement européen 2016/679 relatif à la protection des données à caractère personnel). Comment conjuguer accessibilité et respect du droit de chacun ? Deux cents ans d’existence et six chambres en exercice, cela signifie autant de pratiques de production et de conservation qu’il nous faut expliquer et documenter. Chaque dossier de pourvoi est composé de façon hétérogène et le greffier qui archive le dossier est dépendant des producteurs de pièces d’archives (conseiller rapporteur, avocat général, avocat à la Cour de cassation et Conseil d’État). Comment expliquer l’intérêt pour la source publiée au détriment de la documentation primaire ?

Plan

Texte

Deux siècles d’histoire n’ont pas laissé indemne la production de la juridiction suprême. Elle se situait à l’origine au Palais de justice, sur l’île de la Cité, à Paris, mais les événements vont, sur de courtes périodes, l’obliger à déménager à Tours, à Angers ou encore à Alger1. Les documents d’archives sont également dépendants de leur lieu de conservation. Les infiltrations et les incendies sont responsables de la perte d’un grand nombre de productions de la Cour de cassation. La recherche est rendue difficile par l’état sommaire des outils de description archivistiques. Les Archives nationales, à l’appui de nombreux chantiers, sont engagées depuis plusieurs années dans des projets de mise en qualité des données. Les liens entre les différentes sources sont également renforcés afin de démontrer la complémentarité entre les archives et les productions d’autres institutions patrimoniales telles que les bibliothèques.

Deux cents ans d’existence et six chambres en exercice, cela signifie autant de pratiques de production et de conservation qu’il nous faut expliquer et documenter. Chaque dossier de pourvoi est composé de façon hétérogène et le greffier qui archive le dossier est dépendant des producteurs de pièces d’archives (conseiller rapporteur, avocat général, avocat à la Cour de cassation et Conseil d’État).

Les Archives nationales conservent sur le site de Pierrefitte-sur-Seine les archives de la Cour de cassation depuis sa création par les lois des 27 novembre et 1er décembre 1790, réparties en quelque cinq cents versements pouvant comporter entre un et des centaines de cartons. Les évolutions successives de la Cour et la multitude des fonds rendent de ce fait le travail de recherche complexe tant pour les lecteurs que pour les agents de la Cour de cassation et des Archives nationales. Le département de la Justice et de l’Intérieur (DJI) travaille depuis plusieurs années à améliorer l’accès à ces documents précieux en matière de droit ou de recherche historique.

Comment rendre accessible une masse importante de documents, produite sur un temps long, par un nombre croissant de services ? Quel moyen possède l’archiviste pour rendre accessible à la recherche ces sources primaires ?

Répondre à ces interrogations va nous amener à présenter le travail de description archivistique et de mise à disposition des données auprès des lecteurs. Avant tout traitement, l’archiviste doit avoir une compréhension du contexte de production et de l’historique du producteur. Cette connaissance pourra ainsi permettre la création d’outils d’accès à ces archives pour aider à leur consultation. Enfin, l’instrument de recherche peut également être créé pour être mis au service de la recherche.

1. Quelles sources dans les fonds de la Cour de cassation aux Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine ?

1.1. Une juridiction mais plusieurs services producteurs

À l’origine, la Cour de cassation est composée de trois « sections » puis « chambres », chacune avec une compétence particulière. Les chambres criminelle et civile reçoivent les pourvois dont ils portent la dénomination. La troisième, la chambre des requêtes, est pensée comme un mécanisme de filtrage des pourvois jugés irrecevables afin d’éviter l’encombrement de la chambre civile. Elle va prendre de plus en plus d’importance avec l’augmentation des pourvois en cassation aux xixe et xxe siècles jusqu’à sa suppression en 1947. Elle pourra sur cette période rendre des décisions de rejet comme d’annulation sans renvoi en matière civile uniquement. En effet, la chambre criminelle gère elle-même le filtrage et l’orientation de l’ensemble de ces pourvois. Le xixe siècle ne voit pas d’évolution significative dans l’organisation de la Cour de cassation. On notera tout de même deux avancées significatives : l’ordonnance du 10 septembre 1817, qui réunit, sous la dénomination d’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, l’ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation, et la loi de 1849 qui instaure le Tribunal des conflits.

Une diversification de la nature des contentieux au xxe siècle nécessite une évolution de la compétence des chambres existantes. La chambre sociale est donc créée par le décret-loi du 12 novembre 1938 pour répondre des pourvois en matière de droit du travail. Avec la loi du 23 juillet 1947, la Cour se divise en trois chambres civiles (civile, sociale et commerciale) et une chambre criminelle et, avec la loi du 21 juillet 1952, la Cour se divise en cinq chambres civiles et une chambre criminelle. Nous retrouvons à compter de cette date l’organisation actuelle de la Cour de cassation. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Cour, pour faire face à l’afflux sans cesse en augmentation des pourvois, doit diviser certaines de ces chambres en sections avec des domaines de compétences différents.

Les attributions des six chambres sont déterminées par ordonnance du premier président après avis du procureur général. Le détail figure sur le site de la Cour de cassation2. Actuellement, les attributions des chambres peuvent être illustrées à partir des thématiques suivantes :

  • Première chambre civile pour les contentieux relatifs aux personnes ;
  • Deuxième chambre civile autrement qualifiée de « chambre du risque » ;
  • Troisième chambre civile pour les contentieux se rattachant à l’immeuble ;
  • Chambre sociale pour le contentieux en matière de droit du travail ;
  • Chambre commerciale, financière et économique traitant du contentieux commercial notamment lié aux sociétés ;
  • Chambre criminelle pour les contentieux pénaux.

Lorsque le pourvoi pose une question méritant d’être débattue, il est renvoyé devant l’une des six chambres en fonction de l’attribution de chacune. Quelquefois, la question peut relever des compétences de plusieurs chambres ou être signalée comme un revirement possible de la jurisprudence. La création du dispositif des deux formations dont il va être question est datée de la loi du 27 ventôse de l’an VIII. Dans le premier cas de figure envisagé, une question relève des attributions de plusieurs chambres. Le recours à la formation en chambre mixte peut être ordonné. Ce qui nécessite la présence au minimum du premier président et de trois présidents de chambre. Une fois la décision rendue, celle-ci s’impose à toutes les chambres dont les divergences ont été à l’origine de la saisine.

La deuxième formation en assemblée plénière (anciennement dénommé chambres réunies jusqu’en 1968) est la plus solennelle de la Cour de cassation. Elle intervient obligatoirement dans le cas où la juridiction de renvoi ne s’est pas inclinée et nécessite un second pourvoi.

1.2. Productions de la Cour et clés d’accès

Nous pouvons diviser le fonds d’archives de la Cour de cassation en deux catégories : les archives produites, résultats de son activité, et celles produites pour servir de clés d’entrées.

Le contenu des dossiers de la Cour de cassation est hétérogène en fonction des chambres et des époques. Il est tout de même possible de présenter la structure d’un dossier complet de la manière suivante :

  • Arrêt : décision de la Cour de cassation ;
  • Mémoire ampliatif : document écrit exposant les moyens de droit pour tenter d’obtenir la cassation de la décision rendue et développant l’argumentation au soutien de ces moyens ;
  • Mémoire en défense : document produit par le défendeur en réponse au mémoire ampliatif ;
  • Avis de l’avocat général : document dans lequel l’avocat général prend position et informe les parties et la chambre ;
  • Rapport « objectif » : document produit par le rapporteur comportant une analyse succincte des moyens, une identification du ou des points de droit à juger, les références des décisions ou des articles de doctrine relatifs à chaque question identifiée et enfin l’indication du nombre de projets préparés ;
  • Copie des minutes ou décisions des juridictions antérieures ; on ne trouvera pas le dossier de procédure qui est retransmis aux juridictions de fonds une fois la décision rendue par la Cour de cassation.

Les clés d’accès aux dossiers de pourvoi sont de deux typologies : les registres et les fichiers. La première source est créée dans une logique de gestion courante jusqu’à la prise de décision. En revanche, la fiche va être un point d’entrée vers un dossier clos que l’on souhaite consulter. Les registres conservés aux Archives nationales répondent à des besoins variés (voir illustration 1) :

  • Registre d’enregistrement des pourvois (date d’entrée au greffe, numéro de l’affaire, noms des parties, juridiction devant laquelle le jugement a été prononcé et date, nature de l’affaire, condamnation, nom des rapporteurs, nom des avocats, décision, date de retrait des pièces) ;
  • Registre des audiences (nom du conseiller rapporteur, numéro de pourvoi attribué par le greffe, nom des parties et de leur avocat, nature de la décision de la cour) ;
  • Répertoires alphabétiques (numéro de pourvoi, nom du demandeur).

Illustration 1. Reproduction d’une page du registre d’enregistrement de la chambre civile conservée sous la cote 19970579/87 dans les archives de la Cour de cassation

Illustration 1. Reproduction d’une page du registre d’enregistrement de la chambre civile conservée sous la cote 19970579/87 dans les archives de la Cour de cassation

La difficulté pour l’archiviste est de comprendre la logique de création du registre et de repérer la donnée pivot vers les archives de la Cour de cassation. Un versement est fait par un greffe ou une chambre mais l’historique ne remonte pas au service ou bureau production. Cela est particulièrement contraignant pour appréhender le contexte de production qui permet de privilégier un registre plutôt qu’un autre.

Pour illustrer la méthodologie et la complexité de la recherche, prenons le cas d’une recherche relative à des travaux engagés au sujet de l’affaire Dreyfus partant du questionnement suivant : « Je recherche le pourvoi déposé par Émile Zola et Alexandre Perrenx devant la chambre criminelle le 4 mars 1898 ». L’information « pourvoi déposé » nous fait comprendre qu’il s’agit d’un enregistrement et non d’une décision. La vérification doit se faire dans le registre d’enregistrement des pourvois de la chambre et de l’année concernée, dans ce cas, sous la référence 19970581/13. Il s’agit du pourvoi 1214 de l’année 1898 contre une décision de la cour d’assises de la Seine pour diffamation en date du 23 février 1898. La décision de la chambre criminelle a été rendue le 21 avril 1898. Il reste à mener une recherche dans le versement de l’année et à repérer l’article lié à la date d’audience. Le dossier de pourvoi devrait donc se trouver dans le carton référencé 19890368/925.

Avant l’informatisation de 1986, les fichiers papiers constituent le seul instrument de recherche par requérant ou juridiction de fond. Ces fichiers étant pensés pour être utilisés par les services de greffe, la donnée pivot créée à l’enregistrement est le numéro de pourvoi. La difficulté des archivistes et des chercheurs réside dans le fait que les versements et le classement des dossiers et minutes reposent sur le numéro d’arrêt. Comme les fiches ne comportent pas le numéro d’arrêt, il est donc nécessaire d’avoir recours à un travail de concordance des données entre le numéro de pourvoi et le numéro d’arrêt (créé lors de l’audiencement). La première étape de la recherche est de se reporter aux registres d’enregistrement et de suivi des audiences afin de trouver la date de l’arrêt. L’information obtenue, l’archiviste consulte soit les plumitifs soit les rôles de lecture reliés du greffe des arrêts ou les registres d’audience du greffe criminel pour ainsi parvenir au dossier ou à la minute.

Les Archives nationales conservent également le fichier central du Service de documentation, des études et du rapport (SDER) de la Cour de cassation (versements 20160171 et 20160172), lequel se décompose en quatre fichiers : trois de jurisprudences civiles, un de jurisprudence pénale, auquel s’ajoute un autre fichier dit doctrinal. Ce fichier central est organisé en rubriques puis en subdivisions immuables (soit 6 068 thèmes liés à 22 842 sous-thèmes) depuis 1947. Les mots (cautionnement, cinéma…) ou groupes de mots (associations de bienfaisance, non-représentation d’enfant…) de référencement sont, eux, empruntés à la nomenclature de la Cour. Un instrument de recherche est aujourd’hui accessible sur Internet dans la salle de lecture virtuelle des Archives nationales (SLV) [Caratini, 2016] présentant l’ensemble des grandes rubriques par bornes chronologiques.

2. Comment permettre le repérage des sources ?

2.1. L’outil de l’archiviste : l’instrument de recherche

Depuis 2013, les Archives nationales sont munies d’un nouveau portail d’accès aux instruments de recherche (IR) servant principalement à décrire les fonds qu’elles conservent. Il s’agit de la salle de lecture virtuelle3. Elle propose actuellement environ 29 000 inventaires reposant sur le format d’échange archivistique XML-EAD décrivant plus de 5 millions d’unités documentaires et proposant 1 million d’images numérisées. En archivistique, un instrument de recherche (ou inventaire) est un système de repérage indirect d’un ensemble d’archives qui décrit leur contenu. Cet outil est à placer au cœur du métier de l’archiviste. Il intègre pleinement sa mission de médiation entre l’archive dont il connaît l’historique et le mode de communication et le public qui souhaite sa consultation.

Les instruments de recherche produits ont deux finalités : décrire de façon plus ou moins détaillée un versement ou le contenu d’un fonds et orienter les chercheurs ou l’administration afin de simplifier la recherche en autonomie. Pour répondre aux attentes des publics, la normalisation de la description archivistique – norme ISAD(G) – est rendue d’autant plus nécessaire du fait de l’explosion des technologies numériques et du besoin de disposer d’informations pertinentes et homogènes (Association des archivistes français, 2012).

Le choix des outils de description des versements de la Cour de cassation est pleinement ancré dans l’historique de ces versements. Les premiers versements aux Archives nationales ont lieu en mars et en avril 1952. La Cour de cassation verse 3 871 cartons et registres pour libérer ces locaux engorgés par un siècle et demi de production juridique. Pour donner une visibilité à ce fonds, les archivistes ont créé la série AM dans le cadre de classement des Archives nationales. Cette série a été affectée en propre aux archives en provenance de la Cour de cassation, selon deux tranches de cotes. Les cotes AM/1 à 9 040 furent affectées à la suite chronologique des minutes d’arrêts et des dossiers de procédures les plus anciens des chambres civiles et de la chambre criminelle. Une nouvelle tranche de cotes à partir de AM/10 0001 fut ouverte pour le site de Paris, après le versement de 1988, pour y recevoir les documents anciens divers retrouvés a posteriori. Seule cette dernière tranche existe aujourd’hui (Moine, Poinsot, 1989).

Chaque versement de chambre a fait l’objet à partir de 1959 d’un instrument de recherche dit « répertoire numérique » (cote, date d’audience et numéro d’arrêt). Il s’agit d’une description simple qui s’explique par la masse des documents à traiter en un temps restreint. La description est faite à l’article et les analyses se présentent dans l’ordre croissant des cotes.

Face à la saturation du site parisien des Archives nationales est créé en 1969 à Fontainebleau le centre des archives contemporaines destiné à accueillir en masse les versements sériels des administrations centrales de l’État, dont font partie les archives de la Cour de cassation. Elles y sont transférées en 1989, avec une concordance de la première tranche des cotes AM en cotation continue (numéros de versement). Les versements ultérieurs de la Cour de cassation sont décrits sur le même modèle que les instruments de recherche de 1959. Ce mode de description repose sur la nécessité de détenir la clé d’accès aux documents conservés et la donnée pivot. Nous l’avons abordé dans la partie précédente pour la Cour de cassation, ce sont les registres et les fichiers. La difficulté porte sur la fragilité matérielle de ces documents et leur éventuelle incommunicabilité en application de la réglementation en vigueur4. Cela contraint forcément la recherche qui ne peut se faire sans l’aide en amont d’un archiviste.

Depuis dix ans, les instruments de recherche produits pour les versements sont plus complets. Ils comprennent les données clés de recherche, ce qui permet un meilleur accès aux fonds d’archives.

2.2. Documenter et indexer les informations pour simplifier l’accès aux sources

Nous pouvons actuellement dénombrer plus de 400 instruments de recherche relatifs à des versements de la Cour de cassation aux Archives nationales. Cette masse documentaire a amené la publication dans la salle de lecture virtuelle des Archives nationales de « l’État des versements des archives de la Cour de cassation » (Bouvier, 2017) [voir illustration 2].

Illustration 2. Impression écran présentant l’arborescence de l’état des versements de la Cour de cassation dans la salle de lecture virtuelle des Archives nationales

Illustration 2. Impression écran présentant l’arborescence de l’état des versements de la Cour de cassation dans la salle de lecture virtuelle des Archives nationales

Cet instrument de recherche est un outil de regroupement des versements effectués depuis 1952 par la Cour de cassation aux Archives nationales. L’arborescence reprend la logique des différents services producteurs d’archives de la juridiction suprême, dont les grandes entités sont : la première présidence, le parquet général, le cabinet du directeur de greffe, les greffes civil et criminel, le bureau d’aide juridictionnelle, la Commission nationale de la réparation des détentions et la Commission nationale de la liberté conditionnelle. La recherche d’une minute de décision pourra, par exemple, être orientée en fonction du greffe de la chambre et de l’année de la décision qui fait l’objet de la recherche. Une fois l’information retrouvée, un lien cliquable renvoie automatiquement vers l’instrument de recherche spécifique au fonds qui permet l’obtention de la référence de l’article (ou carton) nécessaire à une consultation ou à une demande de reproduction.

Cet état des versements renvoie vers les instruments de recherche particuliers décrivant en outre les arrêts rendus par les différentes chambres de la Cour de cassation qui sont a minima décrits par leur numéro (pour les années 1969-1988 pour le greffe criminel et 1960-1988 pour le greffe civil) ou par leur numéro et la date d’audience (pour toutes les autres années), informations que fournissent généralement les particuliers ou professionnels du droit dans leurs demandes.

Sur des dossiers sériels tels que ceux produits par les services de la Cour de cassation, l’archiviste a fait le choix de travailler sur l’indexation, qui se définit comme « l’opération destinée à représenter par les éléments d’un langage documentaire ou naturel des données résultant de l’analyse du contenu d’un document ou du document lui-même » (École nationale des chartes/AFNOR, 1991).

Les Archives nationales possèdent 20 vocabulaires contrôlés dans un format XML (matières, types de document, activités et titres des personnes, fonctions et statuts juridiques des collectivités, langues des documents, lieux…) servant à l’indexation des inventaires et, pour certains (statuts juridiques, activités, fonctions et lieux), des notices de producteurs. Un référentiel des personnes physiques et un référentiel des personnes morales sont également utilisés. Ce dernier domaine encadré juridiquement impose des contraintes d’indexation et de diffusion de l’information. Le Règlement européen 2016/679 relatif à la protection des données à caractère personnel (RGPD) est entré en vigueur le 25 mai 2018 dans tous les États membres de l’Union européenne. Dans le cas de la création d’un instrument de recherche, il s’applique aux traitements de « données à caractère personnel », c’est-à-dire aux informations se rapportant à des personnes physiques identifiées ou identifiables, directement ou indirectement.

Ces différents vocabulaires contrôlés vont permettre de filtrer dans le moteur de recherche des Archives nationales les instruments de recherche en fonction de mots-clés de recherche. Le chercheur pourra ainsi éviter les « bruits » trop importants causés par un nombre conséquent d’inventaires de description.

Chaque instrument de recherche dans le référentiel « mots-matières » fait appel aux termes d’indexation suivants : procédure pénale, procédure judiciaire, pourvoi en cassation, décision de justice, dossier de procédure judiciaire. Comme nous l’avons signalé plus haut, les typologies des documents produits sont souvent difficilement identifiables. L’utilisation du référentiel « types de document » va permettre de discriminer la production de la Cour de cassation (dossier de fonctionnement, minutes ou dossier de pourvoi) et les clés d’entrée (registres et fichiers).

3. Améliorer l’existant et reconstituer le manquant

3.1. Mise en qualité et croisement des données

Les travaux de recensement utiles à la publication de « l’État des inventaires de la Cour de cassation » ont permis d’estimer les besoins et les manques en termes d’accès aux archives des greffes de juridiction. La grande majorité des instruments de recherche des différents versements de la Cour de cassation sont sommaires. Ils ne contiennent que les informations minimales : référence de l’article et intitulé (date d’audience et numéro d’arrêt). Ces dernières informations sont malheureusement dépendantes d’un accès à la clé d’accès (registre ou fichier). Cet outil ne peut fonctionner qu’avec l’intervention d’un archiviste pour une recherche en amont afin de repérer les archives dans les inventaires. Cela peut fonctionner pour des besoins de recherche ponctuels mais freine toute recherche sur un champ juridique spécifique ou une période étendue. Ainsi nous avons pour la chambre criminelle 32 inventaires de versements de dossiers de pourvoi des années 1847 à 2009 et 160 inventaires pour les chambres civiles des années 1804 à 2009. Les travaux engagés en matière de rédaction d’instruments de recherche et de pérennisation des outils existants sont donc massifs. Les données nécessaires à la recherche dans ces outils sont la date d’audience et le numéro d’arrêt. Cette dernière information est très rarement connue. Le numéro d’arrêt est attaché à une décision au moment de l’audiencement. Il n’apparaît donc pas dans les enregistrements de pourvoi au contraire du numéro de pourvoi qui est créé à la première étape de la procédure.

Les nouvelles formes électroniques des instruments de recherche encodés en XML-EAD (exportable depuis la salle de lecture virtuelle) ont permis de proposer une mise en qualité de ces outils existants. Ces nouveaux supports permettent une manipulation plus souple des données et un croisement de celles-ci avec des sources existantes. La Cour de cassation produit des données très utiles à l’accessibilité de ces archives en assurant le suivi des documents. Le département de la Justice et de l’Intérieur a donc saisi la Cour d’une demande d’export de données librement communicables et diffusables de sa base de gestion pour les années 1990 à 2000. À partir du numéro d’arrêt comme donnée pivot entre l’inventaire et l’export de la Cour de cassation, les instruments de recherche5 des années 1990 et 2000 ont pu être agrémentés d’informations utiles à la recherche. Nous retrouvons le numéro de pourvoi, la décision de la chambre et la mention de publication. Cette dernière notion nous a amené à nous interroger sur les ressources extérieures mettant à disposition des décisions de la Cour de cassation.

La mise à disposition des décisions communément appelées « open data des décisions de justice » a ouvert de nouvelles pistes de réflexion. Le régime de l’open data a été posé par l’article 21 de la loi pour une République numérique n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, puis précisé par l’article 33 de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice n° 2019-222 du 23 mars 2019 et enfin par le décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives. Les données publiées sur la plateforme Data.gouv.fr sont utilisées dans le travail de traitement des instruments de recherche. Notamment la mise en ligne de la base de données des bulletins des chambres civile et criminelle depuis les années 1960 par la Direction de l’information légale et administrative (DILA) des services du Premier ministre. Un travail de croisement a adjoint dans les instruments de recherche traités le renvoi vers la décision publiée sur le site Légifrance. Cette donnée apporte ainsi un niveau d’information supplémentaire et autonomise le chercheur en mettant à sa disposition des ressources en ligne. Sur cette même ligne, le rajout de lien sera également fait pour les instruments de recherche des chambres sur les périodes du xixe siècle et du début du xxe siècle à partir des Bulletins des arrêts de la Cour de cassation numérisés et mis en ligne par la bibliothèque interuniversitaire Cujas sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France (voir Illustration 3).

Illustration 3. Instrument de recherche illustrant la mise en qualité des données avec les croisements de sources pour l’année 1995

Illustration 3. Instrument de recherche illustrant la mise en qualité des données avec les croisements de sources pour l’année 1995

Le travail de croisements et de compléments de données dans nos inventaires est dépendant des travaux d’indexation déjà exécutés. Pour certaines périodes chronologiques, des chantiers d’indexation sur pièces sont toujours nécessaires et sont pleinement intégrés dans le plan de charge des archivistes.

3.2. Des projets archivistiques pour ouvrir les champs de la recherche

L’ouverture en juin 2023 de la plateforme Girophares6, dédiée aux projets collaboratifs de transcription et d’indexation, a permis de penser de nouveaux projets de mise en qualité des données. Cette plateforme, ouverte à tous les internautes, a pour objectifs essentiels de présenter les projets proposés par les Archives nationales (6 au moment de cette intervention) et de permettre aux usagers d’indexer ou de transcrire les images des archives numérisées. Elle dispose aussi de fonctionnalités permettant aux agents des Archives nationales de créer des projets de différents types, de paramétrer les formulaires de saisie et de récupérer les contributions recueillies pour les intégrer dans les instruments de recherche en SLV. Elle offre également des espaces d’échanges et de discussion pour faire émerger des communautés de bénévoles autour des différents projets collaboratifs. Parmi ces projets, celui intitulé « Dans les archives de la Cour de cass’ » vise à l’indexation des pourvois devant la chambre criminelle de la Cour de cassation (1871-1910) [voir illustration 4].

Illustration 4. Grille d’indexation d’un registre sur la plateforme Girophares

Illustration 4. Grille d’indexation d’un registre sur la plateforme Girophares

L’indexation des registres d’enregistrement des pourvois de la chambre criminelle permet d’obtenir les informations suivantes :

  • Date d’enregistrement du pourvoi ;
  • Numéro d’enregistrement du pourvoi ;
  • Noms des parties ;
  • Juridiction dont la décision est attaquée ;
  • Motif d’inculpation ;
  • Décision de la juridiction attaquée ;
  • Décision de la Cour de cassation.

Le chantier a déjà permis à la fin de l’année 2023 de référencer 4 391 dossiers de pourvoi avec l’aide des contributrices et des contributeurs. Nous recensons également 4 898 noms de parties indexés comme personnes physiques dans le référentiel des Archives nationales. Le rajout progressif de ces descriptions dans l’instrument de recherche des registres d’enregistrement va permettre de mettre en ligne des données sur la production de la chambre criminelle sur la période 1871-1911. Sur le long terme, ce travail va s’insérer dans la politique de mise en qualité des instruments de recherche liés aux dossiers de pourvoi conservés par les Archives nationales. À terme, ce travail permettra de simplifier la recherche sur des thématiques et sujets particuliers comme actuellement cela peut être le cas de recherche sur les pourvois dans l’intérêt de la loi ou sur les clubs cyclistes (voir illustration 5).

Illustration 5. Instrument de recherche résultat de l’indexation sur la plateforme Girophares

Illustration 5. Instrument de recherche résultat de l’indexation sur la plateforme Girophares

Dans le cadre de sa programmation scientifique, le département de la Justice et de l’Intérieur des Archives nationales a inscrit un projet dont la visée est de reconstituer les archives détruites de la Cour de cassation.

En 1871, les archives de la Cour de cassation étaient réparties entre les combles et les premiers étages du palais de justice. Dans les combles, on avait placé les arrêts les plus anciens dont on ne se servait que rarement, à savoir les arrêts de 1791 à 1861 pour la chambre des requêtes et ceux de 1793 à 1846 pour la chambre criminelle. Dans les étages, pour permettre une plus fréquente consultation, se trouvaient les arrêts de 1862 à 1871 pour la chambre des requêtes et ceux de 1847 à 1871 pour la chambre criminelle. Quand survint l’incendie de 1871, les archives conservées dans les combles furent entièrement brûlées et seules furent épargnées celles des étages inférieurs. C’est ce qui explique que, si les arrêts de la chambre civile commencent en 1803, les arrêts de la chambre des requêtes ne débutent qu’en 1862 et ceux de la chambre criminelle qu’en 1847.

Le chantier engagé par le département de la Justice et de l’Intérieur a pour objectif de permettre la reconstitution de ces archives détruites. Il repose sur une logique de gestion des pourvois en cassation. L’opération va donc consister, par l’intermédiaire de diverses sources7, à effectuer un recensement précis des archives détruites pour permettre le renvoi vers le dossier de fond logiquement conservé aux archives départementales du ressort concerné, la Cour transmettant une copie de sa décision à la juridiction dont la décision est attaquée.

Les instruments de recherche peuvent se révéler un écueil lors de recherches de type prosopographiques ou thématiques sur les fonds de la Cour de cassation couplées à la répartition complexe des affaires entre les différentes chambres. En effet, ces instruments de recherche sont pour l’instant strictement numériques (par date et numéro d’arrêt, par numéro d’enregistrement de pourvoi). Dans le cadre de leur plan stratégique pour les années 2021-2025, les Archives nationales ont engagé une réflexion sur la mise à disposition d’instruments de recherche et autres documents visant à autonomiser le lecteur sur ces fonds, pour des besoins administratifs, généalogiques ou universitaires. Ce chantier, dont les premiers fruits sont déjà visibles au travers des deux états des versements publiés en salle des inventaires virtuelle, devrait se poursuivre sur un temps long avec la publication de nouveaux instruments de recherche et l’enrichissement progressif de ceux existants.

Dans l’attente d’une indexation complète des registres, les archivistes ont fait également le choix de numériser des documents librement communicables et diffusables pour les joindre aux descriptions dans les instruments de recherche. Nous pouvons trouver actuellement dans la salle de lecture virtuelle des Archives nationales la numérisation des registres d’enregistrement de la chambre criminelle pour les années 1871 à 1911. Sur ce même modèle, la numérisation des registres civils devrait être prochainement disponible. Enfin, dans une logique d’ouverture des données aux champs de la recherche, il faudrait penser sur le plus long terme la publication en open data des données librement diffusables de l’indexation, résultat des chantiers déjà engagés.

Bibliographie

Les adresses Internet citées dans cet article ont été consultées le 12 novembre 2024.

Association des archivistes français, 2012, Abrégé d’archivistique. Principes et pratiques du métier d’archiviste principes et pratiques du métier d’archiviste, Paris

Association des archivistes français, 2010, La gazette des archives. Les instruments de recherche : évolutions, publics et stratégies, n° 220

Bouvier Ch., 2017, « État des versements des archives de la Cour de cassation », Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, [https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_056073]

Caratini M.-J. (dir.), 2016, « Grands corps de l’État ; Cour de cassation ; Service de documentation, des études et du rapport », Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, [https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_059544]

École nationale des chartes/AFNOR, 1991, Dictionnaire des archives. De l’archivage aux systèmes d’information, Paris

Moine M.-Ch., Poinsot A., 1989, « Cour de cassation. Dossiers d’instruction (an XI-1866) », Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, [https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_002264]

Weber J., 2010, La Cour de cassation, Paris, La Documentation française

Notes

1 Une chambre provisoire de cassation en matière criminelle siégeant à Alger sera instituée par ordonnance du 2 octobre 1943. Elle sera supprimée par ordonnance du 8 septembre 1944. Retour au texte

2 Page de présentation des attributions par chambre, [https://www.courdecassation.fr/la-cour/lorganisation-de-la-cour-de-cassation/les-six-chambres-de-la-cour-de-cassation], consulté le 12 novembre 2024. Retour au texte

3 Site Internet de la salle de lecture virtuelle, [https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/cms/content/display.action?uuid=Accueil1RootUuid&onglet=1], consulté le 12 novembre 2024. Retour au texte

4 Code du patrimoine, Livre II : Archives (Articles L. 211-1 à L. 222-3). Chapitre 3 : Régime de communication. (Articles L. 213-1 à L. 213-8), [https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006159942]. Retour au texte

5 Voir pour illustration du propos l’instrument de recherche « Grands corps de l’État ; Cour de cassation ; Greffe criminel (1993-1994) », Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, 1997, [https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_009688]. Retour au texte

6 Voir le site Internet du projet « Dans les archives de la Cour de cass’ », [https://girophares.archives-nationales.culture.gouv.fr/dans-les-archives-de-la-cour-de-cass]. Retour au texte

7 Registres d’enregistrement du ministère de la Justice, Bulletins des arrêts mis en ligne par la bibliothèque interuniversitaire Cujas. Retour au texte

Illustrations

  • Illustration 1. Reproduction d’une page du registre d’enregistrement de la chambre civile conservée sous la cote 19970579/87 dans les archives de la Cour de cassation

    Illustration 1. Reproduction d’une page du registre d’enregistrement de la chambre civile conservée sous la cote 19970579/87 dans les archives de la Cour de cassation

  • Illustration 2. Impression écran présentant l’arborescence de l’état des versements de la Cour de cassation dans la salle de lecture virtuelle des Archives nationales

    Illustration 2. Impression écran présentant l’arborescence de l’état des versements de la Cour de cassation dans la salle de lecture virtuelle des Archives nationales

  • Illustration 3. Instrument de recherche illustrant la mise en qualité des données avec les croisements de sources pour l’année 1995

    Illustration 3. Instrument de recherche illustrant la mise en qualité des données avec les croisements de sources pour l’année 1995

  • Illustration 4. Grille d’indexation d’un registre sur la plateforme Girophares

    Illustration 4. Grille d’indexation d’un registre sur la plateforme Girophares

  • Illustration 5. Instrument de recherche résultat de l’indexation sur la plateforme Girophares

    Illustration 5. Instrument de recherche résultat de l’indexation sur la plateforme Girophares

Citer cet article

Référence électronique

Christophe Bouvier, « Le point de vue de l’archiviste : plus de deux cents ans d’archives à analyser et à repérer à la Cour de cassation », Amplitude du droit [En ligne], 4 | 2025, mis en ligne le 20 janvier 2025, consulté le 22 janvier 2025. URL : https://amplitude-droit.pergola-publications.fr/index.php?id=712

Auteur

Christophe Bouvier

Responsable de fonds pour le département de la Justice et de l’Intérieur des Archives nationales, Pierrefitte-sur-Seine (désormais Responsable de la gestion des ressources en ligne et des instruments de recherche dématérialisés pour les archives départementales de l’Oise, Beauvais) ; christophe.bouvier@oise.fr

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