L’élément moral de l’infraction à l’aune de la valeur protégée

Résumé

L’intention en droit pénal est généralement considérée comme la volonté du résultat de l’infraction. Elle témoignerait donc d’une hostilité à la valeur protégée par le texte d’incrimination. Or, l’intention est parfois réduite à la seule conscience de la survenance de ce résultat chez l’auteur d’infraction, ce qui témoigne davantage d’une indifférence à la valeur protégée. L’infraction non intentionnelle suppose quant à elle une imprudence à l’égard de la valeur. Il semble alors possible d’établir une classification tripartite de la psychologie d’un auteur d’infraction à l’aune de la valeur protégée par l’incrimination : l’imprudence, l’indifférence ou l’hostilité à l’égard de la valeur protégée. Cette classification refléterait la distinction entre conscience d’un risque, acceptation de sa réalisation et volonté qu’il se réalise.

Index

Mots-clés

infraction, intention, élément moral, responsabilité pénale, valeur protégée, volonté du résultat, acceptation du résultat

Plan

Texte

En matière de crimes et délits1, la psychologie de l’auteur joue un rôle majeur en ce qu’elle conditionne la possibilité de réprimer le fait infractionnel. La psychologie exigée chez l’auteur d’infraction est précisée à l’article 121-3 du Code pénal (CP), lequel dispose que, si les crimes sont toujours intentionnels, les délits le sont en principe, sauf lorsque la loi exige une faute d’imprudence simple ou qualifiée. La matière pénale distingue par conséquent les infractions intentionnelles et les infractions non intentionnelles.

La doctrine a pu analyser et catégoriser les différentes formes de fautes pénales en soulignant l’état d’esprit de l’auteur d’infraction à l’égard de la valeur protégée2 par le texte d’incrimination. Cette approche, assez ancienne, est aujourd’hui parfois critiquée pour son « excès d’abstraction », l’état d’esprit de l’auteur n’étant pas apprécié de façon autonome, mais plutôt à travers la matérialité de l’infraction (Dreyer, 2021, p. 750). Néanmoins, l’analyse de l’élément moral à l’aune de la valeur protégée, pour ce qu’elle dit du degré d’antisocialité de l’auteur d’infraction, intéresse toujours une grande partie de la doctrine. Si l’infraction non intentionnelle suppose une faute d’imprudence de la part de l’agent et témoigne, selon un auteur, d’une « indifférence aux valeurs sociales » (Mayaud, 2021, p. 313), l’infraction intentionnelle suppose l’intention coupable chez l’agent et extériorise une « hostilité » (Garraud, 1913, n° 287 ; Mayaud, 2021, p. 292 ; Dana, 1982, n° 454 et suiv.) à ces mêmes valeurs. L’intention (Bernardini, 1976 ; Wagner, 1976 ; Giudicelli, 2005 ; Ferreira 2018) est une notion difficile à cerner en soi, voire « introuvable » (Moine-Dupuis, 2001), car elle se définit par référence aux composantes variables de l’infraction. Selon l’expression de certains auteurs, l’infraction intentionnelle est celle d’un agent qui a agi « exprès » (Dreyer, 2021, p. 752 ; Mayaud, 2021, p. 292). L’intention est souvent conçue comme la volonté chez l’agent d’adopter le comportement incriminé en vue d’obtenir le résultat redouté par le législateur (Dreyer, 2021, p. 7523 ; Mayaud, 2021, p. 301 ; Pageaud, 1950 ; Roux, 1927, p. 156 ; Rassat, 2017, n° 315 ; Pin, 2022, n° 205) : l’agent agit dans l’objectif de porter atteinte à la valeur pénalement protégée. Néanmoins, la volonté d’atteindre le résultat redouté n’est pas toujours4 exigée pour les infractions formelles, ce qui a conduit un auteur à définir plus prudemment l’intention comme « une volonté tendue vers tout ce qui participe des données de définition de l’incrimination » (Mayaud, 1995 ; Garçon, 1956, article premier, n° 77 ; Decocq, 1971, p. 208 ; Puech, 1988, n° 515 et suiv.). Par exemple, le meurtre5 est une infraction matérielle en ce qu’elle exige pour sa consommation la caractérisation du résultat redouté6 qu’est la mort d’autrui. Au titre de l’intention, l’auteur devra par conséquent avoir eu la volonté d’atteindre ce résultat. En revanche, la non-assistance à personne en danger7 est une infraction formelle en ce qu’elle n’exige pas la survenance du résultat redouté (la mort par exemple, si tel était le danger) pour être consommée. Au titre de l’intention, il n’est donc pas exigé que l’auteur ait voulu ce résultat.

La variabilité de ces données de définition de l’incrimination a pu conduire la doctrine à décomposer l’intention en un dol général et un éventuel dol spécial. La difficulté de cerner la définition de l’intention serait ainsi contournée par le biais d’une définition de ses composantes. Le dol général est souvent considéré comme le reflet de la matérialité de l’infraction dans l’esprit de l’auteur (Dreyer, 2021, p. 750 ; Merle, Vitu, 1997, p. 741). D’autres auteurs (Pereira, 2017 ; Detraz, 2014, p. 63 et suiv.) le qualifient comme « la volonté et la conscience de l’acte », ce qui semble exclure du dol général la volonté du résultat redouté. Quant au dol spécial, il suppose selon certains auteurs la prise en compte d’un mobile spécifique chez l’agent (Rousseau, 2009, n° 151)8, alors que d’autres auteurs le définissent comme la volonté chez l’agent d’atteindre le résultat redouté (Dreyer, 2021, n° 950). Au regard de cette dernière conception, un auteur précise que « le dol spécial est inclus dans le dol général » pour les infractions matérielles, et se « distingue du dol général » en s’ajoutant à lui pour les infractions formelles (Dreyer, 2021, n° 950). Cela témoigne d’un attachement de la doctrine à l’idée selon laquelle, pour les infractions matérielles ou formelles, l’intention devrait toujours supposer une volonté chez l’agent d’atteindre le résultat redouté (Mayaud, 2021, n° 254).

Or, il ressort de la jurisprudence que, pour certaines infractions intentionnelles, l’élément psychologique est caractérisé dès lors que l’agent a volontairement adopté son comportement et qu’il ne pouvait ignorer les conséquences qui en ont résulté. Il ne s’agit donc pas d’exiger la volonté du résultat redouté, mais seulement l’acceptation de sa survenance certaine. Il est vrai que la jurisprudence fait parfois preuve d’une certaine souplesse dans la façon d’établir la preuve de l’intention, ce qui l’amène à en réduire le contenu. D’après un auteur (Dreyer, 2021, n° 938), « la Cour de cassation finit par conclure qu’il suffit que la matérialité des faits ne soit pas contestée pour que l’intention coupable puisse être admise » dès lors que l’agent a agi en « connaissance de cause »9. Cette dernière expression renvoie à l’idée d’une vision éclairée de la situation, laquelle implique la conscience chez l’agent des conséquences de son action. Néanmoins, cela ne signifie pas nécessairement que l’agent a agi en recherchant ces conséquences. Il n’est bien évidemment pas question d’imprudence lorsque l’agent adopte un comportement infractionnel en ayant la certitude du résultat qui en découlera, quand bien même ce n’est pas ce résultat qui a motivé son action. Mais, en cette hypothèse, faut-il vraiment parler d’hostilité à la valeur protégée par l’incrimination ? La distance qui sépare la pratique et cette théorie témoigne peut-être d’un besoin de revenir sur la seconde pour mieux rendre compte de la première.

Si le dénominateur commun aux infractions intentionnelles est davantage l’acceptation du résultat redouté que la volonté de ce résultat (1), il est possible d’envisager une classification tripartite de la psychologie infractionnelle à l’aune de la valeur protégée (2).

1. L’acceptation du résultat, dénominateur commun aux infractions intentionnelles

Bien que l’intention soit souvent considérée dans la doctrine comme impliquant la volonté du résultat redouté chez l’agent, elle est souvent réduite à l’acceptation de ce résultat dans la jurisprudence. Certains auteurs ont d’ailleurs pu considérer que l’intention engage davantage l’intelligence que la volonté de l’agent (Donnedieu de Vabres, 1947, n° 126 ; Rousvoal, 2011, n° 29710).

S’agissant des infractions formelles, cette réduction du contenu de l’intention est en réalité assez cohérente. Dès lors que la survenance du résultat redouté n’est pas une donnée constitutive de l’infraction (et si la loi n’exige pas expressément une volonté chez l’agent d’atteindre ce résultat), seule la volonté du comportement est théoriquement exigée (Mayaud, 1995). Pour le délit d’entrave à l’exercice du droit syndical, la Cour de cassation a bien précisé que « l’élément intentionnel du délit poursuivi se déduit non du but recherché par l’intéressé, mais du caractère volontaire des mesures qu’il a prises11 ». Or, si la volonté du comportement n’implique pas nécessairement la volonté du résultat, elle implique au moins l’acceptation du résultat chez l’individu suffisamment éclairé, lorsque ce résultat est la conséquence logique du comportement adopté. En matière d’entrave aux institutions représentatives du personnel, la Cour de cassation a ainsi approuvé l’arrêt d’une cour d’appel n’ayant pas retenu l’élément psychologique de l’infraction car l’auteur n’avait « pas pensé porter atteinte au fonctionnement régulier des institutions représentatives du personnel12 ». Certes, la matérialité d’une infraction formelle permet parfois d’extérioriser une volonté du résultat redouté13 mais, selon la jurisprudence, elle doit à tout le moins mettre en lumière une conscience de ce résultat chez l’auteur pour faire jouer la répression.

Dans le cadre des infractions matérielles, le résultat redouté est une donnée constitutive de l’infraction. Si le dol général suppose un reflet du résultat dans l’esprit de l’agent, est-il exigé que ce résultat ait été recherché par l’auteur ? Autrement dit, l’auteur doit-il avoir eu la volonté du résultat, ou avoir seulement accepté qu’il se produise ? Lorsque le comportement adopté ne peut avoir eu d’autre motif que l’atteinte à la valeur qui en a résulté, il est certain que la volonté du comportement implique chez l’agent une volonté du résultat. En matière de meurtre, celui qui porte volontairement un coup dont il sait qu’il est mortel ne peut qu’avoir souhaité porter atteinte à la vie d’autrui. La question se pose surtout dans l’hypothèse d’un comportement qui, bien que de nature à léser la valeur protégée, n’est pas motivé par la lésion de cette valeur. Tel peut être le cas de celui qui procure de la drogue à un ami afin de passer un moment festif avec lui, et non dans l’objectif de léser son intégrité. Ce comportement, susceptible d’entrer dans les prévisions de l’incrimination d’administration de substances nuisibles14, doit-il impliquer la volonté chez l’agent de léser l’intégrité de la victime pour être punissable ? En la matière, deux arrêts de la Cour de cassation de 2019 et de 2021 illustrent une hésitation entre l’intention « volonté du résultat » et l’intention « acceptation du résultat ». Dans l’affaire de 201915, une personne avait fourni de la drogue dans un cadre festif à l’une de ses amies. Cette dernière est décédée pour en avoir trop consommé, et la personne ayant fourni le produit a été mise en examen pour administration de substances nuisibles ayant entraîné la mort sans intention de la donner. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi en se fondant sur l’appréciation souveraine des juges du fond, selon lesquels l’auteure devait plutôt être renvoyée devant un tribunal correctionnel pour le délit d’homicide involontaire, car elle n’avait eu aucune « intention malveillante ». Quand bien même l’intention de donner la mort n’est pas exigée ici, l’administration de substances nuisibles suppose en toute hypothèse la volonté d’atteindre le résultat commun à l’ensemble des violences, à savoir l’atteinte à l’intégrité de la victime. Telle est bien la conception de l’intention retenue par la Cour dans cet arrêt de 2019, car l’intention malveillante supposerait que l’auteure ait fourni les produits dans l’objectif de léser l’intégrité de son amie. En revanche, dans l’affaire de 202116 et pour des faits assez similaires17, la Cour de cassation a considéré que la « connaissance, par l’auteur des faits, du caractère nuisible de la substance qu’il administre » suffit pour caractériser l’intention exigée. Cette connaissance du caractère nuisible de la substance permet de déduire l’acceptation par l’auteur de l’atteinte à l’intégrité de la victime, mais n’implique nullement la volonté de cette atteinte. S’il ne s’agit pas réellement en cette hypothèse d’une hostilité à la valeur protégée, ni davantage d’une imprudence, c’est qu’il existe une troisième forme d’état d’esprit chez l’auteur d’infraction.

2. Imprudence, indifférence ou hostilité à l’égard de la valeur protégée

Au regard de ce qui distingue les infractions intentionnelles et non intentionnelles, certains auteurs ont précisé que les premières supposent chez l’agent une hostilité à la valeur protégée par l’incrimination, tandis que les secondes supposent une indifférence à cette valeur (Decocq, 1971, p. 207 et suiv. ; Mayaud, 2021, p. 313). Or, il a été souligné qu’au vu de la jurisprudence, les infractions intentionnelles englobent en réalité deux états d’esprit possibles chez l’agent : la volonté du résultat ou l’acceptation de ce résultat. S’il ne fait aucun doute que la volonté du résultat redouté témoigne d’une hostilité à la valeur protégée, il semble que l’indifférence à la valeur doive concerner les hypothèses dans lesquelles l’agent accepte le résultat sans l’avoir pour autant recherché. Les infractions non intentionnelles supposent alors davantage une imprudence à l’égard de la valeur.

Si les notions d’hostilité, d’indifférence ou d’imprudence semblent utiles afin de qualifier l’état d’esprit d’un auteur d’infraction à l’aune de la valeur protégée, encore faut-il s’entendre sur ce qu’elles signifient. L’hostilité à la valeur suppose que l’auteur d’infraction agisse dans l’objectif de léser cette valeur. Son comportement n’est qu’un moyen d’y parvenir. Tel est le cas de celui qui, souhaitant la mort d’une personne, lui donne un coup de couteau dans le cœur. L’indifférence à la valeur caractérise plutôt l’état d’esprit de celui qui, ayant conscience de l’atteinte à la valeur que son comportement va engendrer, décide malgré tout d’adopter ledit comportement. En cette hypothèse, l’objectif de l’auteur d’infraction n’est pas de léser la valeur, il est ailleurs. Néanmoins, l’auteur sait que la valeur sera atteinte et l’accepte. L’imprudence à l’égard de la valeur caractérise enfin l’état d’esprit de celui qui, ayant conscience du risque d’atteinte à la valeur que son comportement va engendrer, décide tout de même d’agir en espérant que la valeur ne sera pas atteinte. Ici, l’auteur d’infraction agit en prenant le risque de léser la valeur en jeu, mais s’abstiendrait d’agir s’il était certain de l’atteinte à cette valeur. C’est en cela que l’agent imprudent se distingue de l’agent indifférent.

Il paraît alors excessif d’évoquer une indifférence à la valeur protégée chez l’auteur d’une infraction non intentionnelle, car cela signifierait par exemple que la vie d’autrui n’importe pas pour l’agent ayant causé un décès par négligence ou imprudence. Même en l’hypothèse d’une faute d’imprudence délibérée ou caractérisée, il y a lieu de penser que les conséquences susceptibles d’en résulter pourraient être perçues comme tragiques pour l’auteur de la faute. L’on peut alors s’interroger sur le délit de mise en danger d’autrui18, souvent considéré comme non intentionnel19 (Rousseau, 2009, n° 22), dont un auteur (Mayaud, 1995) considère qu’à l’instar du crime d’empoisonnement, il suppose chez l’agent une « vue du dommage ». Cela semble renvoyer aux infractions intentionnelles pour lesquelles l’agent, en adoptant son comportement, a conscience du résultat sans pour autant l’avoir recherché. Or, l’auteur (Mayaud, 1995) précise bien qu’il ne s’agit que de la vision d’un risque, et non d’un résultat certain. D’après un autre auteur (Besse, 2019), le délit de mise en danger est l’infraction d’un agent qui, « sans chercher la production d’un résultat dommageable, a cependant envisagé celui-ci comme étant éventuellement réalisable et a persisté dans son action en comptant sur son adresse ou sur la chance ». Or, compter sur son adresse ou sur la chance, c’est préférer éviter le dommage. L’agent qui préfère éviter de porter atteinte à une valeur n’est pas indifférent à cette dernière. L’on peut en revanche affirmer que l’agent est imprudent – voire gravement imprudent – à l’égard de la valeur en question.

L’on pourrait tenter d’illustrer l’indifférence à la valeur avec l’exemple de l’agent qui, se sachant porteur du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et n’en avertissant pas son partenaire, a une relation sexuelle non protégée avec lui. Bien que la doctrine (Rousseau, 2013 ; Ollard, 2016 ; Besse, 2019) ait souligné l’incertitude d’une contamination en cette hypothèse, l’infraction généralement appliquée dans la jurisprudence est l’administration de substances nuisibles20. Il est fort possible que l’agent agisse pour le plaisir d’avoir une relation sexuelle non protégée, et non dans l’objectif de porter atteinte à l’intégrité du partenaire (Besse, 2019)21. Si le délit d’administration de substance nuisible est retenu – ce qui suppose une contamination effective de la victime –, l’on peut tout au plus considérer que l’agent avait accepté le dommage qui allait résulter de son comportement (encore faut-il que, dans l’esprit de l’agent, la contamination ne soit pas probable mais certaine). L’agent qui est certain de contaminer son partenaire est à tout le moins indifférent à l’intégrité de ce dernier22. Il en va de même s’agissant du délit de non-assistance à personne en danger23, pour lequel l’omission peut être motivée par le seul souhait de ne pas s’impliquer : face à une personne dont il est certain qu’elle périra si aucune aide ne lui est apportée (une personne en train de se noyer, par exemple), l’agent qui s’abstient d’intervenir directement ou d’appeler des secours est à tout le moins indifférent à la vie de cette personne24.

En résumé, la distinction entre imprudence, indifférence et hostilité à l’égard de la valeur permet de refléter la distinction entre conscience d’un risque, acceptation de sa réalisation et volonté qu’il se réalise. Or, ce n’est pas toujours cette dernière qui est sanctionnée au titre d’une infraction intentionnelle, sauf à considérer que de l’acceptation du résultat pourrait toujours se déduire une volonté du résultat. À propos d’une affaire25 dans laquelle un individu ayant laissé aboyer ses chiens a été condamné pour délit d’agressions sonores en vue de troubler la tranquillité d’autrui26, un auteur a précisé que, « même s’il n’agissait pas dans ce seul but, le caractère inévitable des aboiements interdisait au prévenu de soutenir qu’il n’avait pas accepté la nuisance et donc voulu qu’elle se produise » (Dreyer, 2021, n° 951). Un auteur a également pu souligner, s’agissant de la transmission du VIH par voie sexuelle, qu’« agir en ayant la certitude d’administrer le VIH, c’est avoir la volonté de contaminer la victime » (Ollard, 2016). Bien qu’un tel raisonnement permette de redonner au contenu de l’intention une dimension uniforme, il consiste à assimiler l’acceptation d’un dommage au désir de sa survenance27, et partant à considérer que l’indifférence équivaut à l’hostilité envers la valeur protégée. Cette assimilation peut se comprendre lorsqu’il s’agit de rapporter la preuve de l’intention, sachant que la matérialité n’extériorise pas toujours un désir chez l’agent de léser la valeur en jeu. Ainsi, sauf à ce qu’un mobile spécifique soit exigé par la loi, l’intention est établie dès lors que l’agent, qui ne conteste pas la matérialité, a agi en connaissance de cause. Mais plutôt qu’assimiler l’acceptation d’un dommage au désir qu’il se produise, ne devrait-on pas considérer que c’est à tout le moins l’indifférence à l’égard des valeurs protégées28 qui est sanctionnée au titre des infractions intentionnelles ?

1 La psychologie de l’auteur est en principe indifférente en matière contraventionnelle. Il existe cependant une exception, lorsque la contravention

2 Il s’agit de la valeur que le législateur souhaite protéger en rédigeant l’incrimination. Par exemple, l’incrimination du meurtre vise à protéger

3 Selon E. Dreyer (2021), cette exigence s’applique aux infractions matérielles et formelles, en ce qu’elles sont définies « par référence à un

4 Car la survenance du résultat redouté n’est pas exigée pour les infractions formelles. Si la Cour de cassation (Cass.) exige la volonté de tuer

5 Article 221-1 CP.

6 Il convient de distinguer entre le résultat redouté et le résultat légal. Le résultat redouté suppose l’atteinte effective à la valeur que le

7 Article 223-6, al. 2 CP.

8 Selon cette conception, le dol spécial n’est exigé que pour certaines infractions intentionnelles telles que l’abus de biens sociaux.

9 Voir, par exemple, Cass. crim., 8 mars 2006, n° 08-85.276. La Cour de cassation précise que, pour le délit de favoritisme prévu à l’article 432-14

10 Pour cet auteur, l’intention suppose moins une volonté du résultat qu’une conscience de ce résultat.

11 Cass. crim., 15 février 1994, n° 92-84088.

12 Cass. crim., 8 octobre 2002, n° 02-81177, Droit social, 2003, p. 143, obs. F. Duquesne.

13 Un auteur (Mayaud, 1995) considère qu’en matière d’empoisonnement, la conscience chez l’agent du caractère mortel de la substance volontairement

14 Article 222-15 CP.

15 Cass. crim., 7 août 2019, n° 19-83395, non publié au Bulletin.

16 Cass. crim., 23 mars 2021, n° 20-81713, Droit pénal (Dr. pén.), 2021, n° 86, obs. Ph. Conte ; AJ Pénal, 2021, p. 261, obs. S. Douider.

17 Dans l’affaire de 2021, la victime pensait néanmoins boire un thé normal et n’avait donc pas conscience d’ingérer de la drogue. Cette différence

18 Article 223-1 CP.

19 La nature de ce délit – intentionnel ou non intentionnel – fait néanmoins débat dans la doctrine. Cela dépend du risque – abstrait ou concret –

20 Voir, par exemple, Cass. crim., 10 janvier 2006, n° 05-80.787 ; Cass. crim., 5 mars 2019, n° 18-82.704, Dr. pén., 2019, n° 80, obs. Ph. Conte.

21 Il reste néanmoins possible qu’un agent ait une relation sexuelle non protégée dans l’objectif de contaminer son partenaire. En ce cas, l’acte

22 En revanche, l’agent ayant conscience du caractère seulement potentiel de la contamination pourrait être considéré comme imprudent à l’égard de

23 Article 223-6, al. 2 du CP.

24 En revanche, si l’agent a seulement conscience d’un risque de mort pour la personne en danger, il est contestable d’évoquer une infraction

25 Cass. crim., 2 juin 2015, Bull. crim., n° 135, Dr. pén., 2015, comm. 135, obs. Ph. Conte ; Gazette du Palais, 9-11 août 2015, p. 24, obs. S. 

26 Article 222-16 CP.

27 Sauf peut-être à considérer, d’après un auteur (Rousseau, 2009, n° 77), qu’il n’est pas question d’une « volonté/désir », mais plutôt d’une « 

28 Dans le cadre des infractions intentionnelles, un auteur (Leroy, 2020, n° 415) évoque le « mépris » de la valeur protégée. Ce terme semble plus

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Notes

1 La psychologie de l’auteur est en principe indifférente en matière contraventionnelle. Il existe cependant une exception, lorsque la contravention se rattache à un type d’infraction pour lequel une volonté est exigée (Mayaud, 2015, p. 279). Tel est notamment le cas des violences contraventionnelles (art. R. 624-1 et R. 625-1 CP), lesquelles sont rattachées aux violences.

2 Il s’agit de la valeur que le législateur souhaite protéger en rédigeant l’incrimination. Par exemple, l’incrimination du meurtre vise à protéger la valeur vie.

3 Selon E. Dreyer (2021), cette exigence s’applique aux infractions matérielles et formelles, en ce qu’elles sont définies « par référence à un résultat » (pour les infractions obstacle, seule l’intelligence et la volonté du comportement suffisent).

4 Car la survenance du résultat redouté n’est pas exigée pour les infractions formelles. Si la Cour de cassation (Cass.) exige la volonté de tuer chez l’auteur d’un empoisonnement (voir Cass. crim., 18 juin 2003, JCP, 2003, II, 10121, note M.-L. Rassat), elle n’exige pas la volonté d’une dégradation des conditions de travail de la victime chez l’auteur d’un harcèlement moral au travail (voir, notamment, Cass. crim., 19 juin 2018, n° 17-86.737).

5 Article 221-1 CP.

6 Il convient de distinguer entre le résultat redouté et le résultat légal. Le résultat redouté suppose l’atteinte effective à la valeur que le législateur souhaite protéger et n’est exigé que pour les infractions matérielles. Par exemple, dans le cadre de l’empoisonnement (art. 221-5 CP), qui est une infraction formelle visant à protéger la valeur « vie », le résultat redouté (la mort) n’est pas exigé pour que l’infraction soit pleinement consommée. En revanche, cette infraction suppose la survenance du résultat légal qu’est l’ingestion de la substance par la victime. Le résultat légal permet de distinguer entre l’infraction pleinement consommée et l’infraction tentée (Mayaud, 2021, n° 288).

7 Article 223-6, al. 2 CP.

8 Selon cette conception, le dol spécial n’est exigé que pour certaines infractions intentionnelles telles que l’abus de biens sociaux.

9 Voir, par exemple, Cass. crim., 8 mars 2006, n° 08-85.276. La Cour de cassation précise que, pour le délit de favoritisme prévu à l’article 432-14 du Code pénal, l’élément intentionnel suppose « l’accomplissement en connaissance de cause d’un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics ».

10 Pour cet auteur, l’intention suppose moins une volonté du résultat qu’une conscience de ce résultat.

11 Cass. crim., 15 février 1994, n° 92-84088.

12 Cass. crim., 8 octobre 2002, n° 02-81177, Droit social, 2003, p. 143, obs. F. Duquesne.

13 Un auteur (Mayaud, 1995) considère qu’en matière d’empoisonnement, la conscience chez l’agent du caractère mortel de la substance volontairement administrée extériorise assez logiquement la volonté de tuer. La Cour de cassation a néanmoins pu considérer dans un arrêt que « la seule connaissance du pouvoir mortel de la substance administrée ne suffit pas à caractériser » l’intention homicide, voir Cass. crim., 2 juillet 1998, n° 98-80.529, Bulletin criminel (Bull. crim.), n° 211, Dalloz, 1998, p. 457, note J. Pradel.

14 Article 222-15 CP.

15 Cass. crim., 7 août 2019, n° 19-83395, non publié au Bulletin.

16 Cass. crim., 23 mars 2021, n° 20-81713, Droit pénal (Dr. pén.), 2021, n° 86, obs. Ph. Conte ; AJ Pénal, 2021, p. 261, obs. S. Douider.

17 Dans l’affaire de 2021, la victime pensait néanmoins boire un thé normal et n’avait donc pas conscience d’ingérer de la drogue. Cette différence pourrait expliquer la moindre sévérité des juges dans l’affaire de 2019, si l’on considère qu’une substance nuisible ingérée sciemment exclut tout acte d’administration. Ce n’est cependant pas sur le terrain de la matérialité que se sont placés les juges dans l’affaire de 2019 pour écarter l’administration de substances nuisibles, mais plutôt sur celui de l’objectif visé par l’auteure.

18 Article 223-1 CP.

19 La nature de ce délit – intentionnel ou non intentionnel – fait néanmoins débat dans la doctrine. Cela dépend du risque – abstrait ou concret – que l’on prend en considération (Conte, 2019, n° 25 ; Rousseau, 2009, n° 22).

20 Voir, par exemple, Cass. crim., 10 janvier 2006, n° 05-80.787 ; Cass. crim., 5 mars 2019, n° 18-82.704, Dr. pén., 2019, n° 80, obs. Ph. Conte.

21 Il reste néanmoins possible qu’un agent ait une relation sexuelle non protégée dans l’objectif de contaminer son partenaire. En ce cas, l’acte sexuel serait un moyen et non une fin.

22 En revanche, l’agent ayant conscience du caractère seulement potentiel de la contamination pourrait être considéré comme imprudent à l’égard de cette valeur. En cette hypothèse, un auteur (Ollard, 2016) a souligné qu’il serait contestable d’évoquer une infraction intentionnelle.

23 Article 223-6, al. 2 du CP.

24 En revanche, si l’agent a seulement conscience d’un risque de mort pour la personne en danger, il est contestable d’évoquer une infraction intentionnelle. Voir, par exemple, Cass. crim., 16 septembre 1992, Dr. pén., 1993, n° 78, obs. M. Véron, concernant des participants à un jeu de « roulette russe » n’ayant pas fait cesser le jeu alors que l’un d’eux était en danger de mort. Cela s’apparente à la faute caractérisée définie à l’article 121-3 CP que commet celui qui expose autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer.

25 Cass. crim., 2 juin 2015, Bull. crim., n° 135, Dr. pén., 2015, comm. 135, obs. Ph. Conte ; Gazette du Palais, 9-11 août 2015, p. 24, obs. S. Detraz.

26 Article 222-16 CP.

27 Sauf peut-être à considérer, d’après un auteur (Rousseau, 2009, n° 77), qu’il n’est pas question d’une « volonté/désir », mais plutôt d’une « volonté/liberté », laquelle renvoie à la « faculté de se déterminer librement à l’action ».

28 Dans le cadre des infractions intentionnelles, un auteur (Leroy, 2020, n° 415) évoque le « mépris » de la valeur protégée. Ce terme semble plus proche de l’idée d’une indifférence que de celle d’une hostilité.

Citer cet article

Référence électronique

Pierre Rousseau, « L’élément moral de l’infraction à l’aune de la valeur protégée », Amplitude du droit [En ligne], 2 | 2023, mis en ligne le 09 octobre 2023, consulté le 12 décembre 2024. URL : https://amplitude-droit.pergola-publications.fr/index.php?id=420 ; DOI : https://dx.doi.org/10.56078/amplitude-droit.420

Auteur

Pierre Rousseau

Docteur en droit privé et sciences criminelles, enseignant-chercheur contractuel, Université de Nantes, Droit et changement social (DCS – UMR CNRS 6297) ; pierre.rousseau@univ-nantes.fr

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