Introduction
Les travaux portant sur le vote électronique en France, y compris dans une perspective comparée, sont nombreux (Guglielmi, Ihl, 2015 ; Le Bot, Arlettaz, 2010). L’objectif de cette analyse n’est pas de revenir sur le sujet, mais de mettre en lumière les avancées technologiques en la matière qui conduisent à interroger le système de vote classique en temps de crise.
Néanmoins, avant de s’atteler à cette tâche, il convient de lever quelques risques de malentendus. Lorsqu’on parle de vote électronique, on ne parle pas toujours de la même chose. Il faut distinguer le vote électronique classique, qui s’effectue via une machine à voter, du vote électronique à distance, qui nécessite l’usage d’Internet (Le Bot, 2010, p. 47-51). En effet, si tous les systèmes de vote électronique partagent des caractéristiques communes, comme un fonctionnement basé sur des « systèmes informatiques », « sans bulletin papier » et donc totalement « dématérialisé » (Le Bot, 2010, p. 45), le vote électronique à distance, dont relève le vote par chaîne de blocs, repose presque1 totalement sur le Web puisqu’il permet de voter à distance et ce géographiquement de n’importe quel endroit, depuis un ordinateur, voire un téléphone portable, connectés à Internet. Ce vote fait ainsi sauter tous les verrous symboliques. Comme l’affirme Olivier Le Bot, « il n’y a plus d’urne, plus d’isoloir. Le vote se fait en un “clic” » (2010, p. 50). Ainsi, avec le vote électronique à distance, « ce n’est pas le citoyen qui va à l’urne […] mais l’urne qui vient à lui » (2010, p. 49).
Les débats sur le vote électronique ont, pour ainsi dire, été ravivés par l’avènement de la nouvelle technique de vote par la chaîne de blocs (ou blockchain), expérimentée pour la première fois en Occident2 dans le courant de l’été 2018 lors une élection politique en Virginie-Occidentale (États-Unis), bien que de manière partielle.
Précisons d’emblée que vote électronique à distance et vote par chaîne de blocs vont de pair ; la chaîne de blocs n’est qu’une technologie plus élaborée, ou plus complexe, qu’une simple plateforme de vote en ligne ; mais, quel que soit leur mode de fonctionnement ou leur degré d’intelligence, toutes ces techniques de vote non traditionnelles, dématérialisées et automatisées fonctionnent grâce à Internet. La principale particularité du vote par chaîne de blocs ne réside pas tant dans son impossibilité sans l’usage d’Internet, qui permet à la technologie qui l’accompagne de fonctionner, que dans le niveau élevé de sécurité qu’on lui prête. Mais l’usage obligatoire d’Internet dans ce type de vote soulève certaines questions liées notamment au principe de souveraineté des États sur lequel on reviendra.
Qu’est-ce que la chaîne de blocs3 ? Plusieurs approches s’affrontent, mais, du point de vue juridique, la situation n’est pas claire.
Ainsi, un avis de 2017 de la Commission d’enrichissement de la langue française refuse l’appellation anglo-saxonne blockchain pour aborder la notion de « chaîne de blocs », équivalent, selon le contexte, à « monnaie électronique », « pair à pair », « preuve de travail », « validation de bloc », comme un « mode d’enregistrement de données produites en continu, sous forme de blocs liés les uns aux autres dans l’ordre chronologique de leur validation, chacun des blocs et leur séquence étant protégés contre toute modification ». Précision importante, le texte de la Commission note que cette modalité d’enregistrement « est notamment utilisée dans le domaine de la cybermonnaie, où elle remplit la fonction de registre public des transactions ». Une telle acception ne laisse pas place à l’analyse juridique mais plutôt économique de la chaîne de blocs.
Pour M. Benchoufi et N. Chiche, « il s’agit d’un protocole assurant l’échange d’informations entre pairs, sans intermédiaire, l’ensemble du réseau étant garant de l’intégrité des échanges par le biais d’un système de validation cryptographique complexe ; tous les utilisateurs détiennent en effet une copie infalsifiable des échanges, une sorte de grand livre des transactions appelé “ledger” » (Benchoufi, Chiche, 2016). Cette approche de la technologie a le mérite d’une certaine neutralité, au sens où elle est détachée de la seule sphère économique. Il en va de même de celle de Blockchain France, entreprise de conseil sur les technologies de la chaîne de blocs, qui souligne, pour sa part, que « la blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle4 ». La firme a étendu la définition de cette technologie à « une base de données qui contient l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création. » Sécurisée et distribuée, cette base de données « est partagée par ses différents utilisateurs, sans intermédiaire, ce qui permet à chacun de vérifier la validité de la chaîne ».
D’après les différents experts qui analysent cette technologie, il en existe trois types (Landau, 2018, p. 80 ; Boucher, Nascimento, Kritikos, 2017, p. 4-6). D’abord, la chaîne de blocs publique qui est ouverte à tous. En ce sens :
« Chacun peut lire une blockchain publique et y accéder librement sans restriction. Chaque transaction apparaît sur le registre public, dès lors que l’utilisateur respecte le protocole. Une blockchain publique supprime tout intermédiaire de confiance, puisque les utilisateurs participent au processus d’approbation des transactions (grâce à une récompense, de nature financière dans la plupart des cas). » (Landau, 2018)
Ensuite, la chaîne de blocs privée qui appartient à son seul propriétaire, lequel est le seul à pouvoir écrire dans le registre de la chaîne ; c’est-à-dire que « le droit d’ordonner des transactions sur cette blockchain est restreint. Le propriétaire définit les caractéristiques de cette blockchain selon son gré, notamment le droit de lecture, qui peut être public ou restreint » (Landau, 2010). Enfin, il existe une chaîne de blocs dite de consortium qui est à la fois publique et privée. Dans ce troisième cas, le processus d’approbation est contrôlé par certaines données déterminées au préalable et le « droit de lecture peut être public ou restreint selon les règles fixées ex ante par les membres du consortium habilités à en déterminer les règles » (Landau, 2010).
Ces différentes approches définitionnelles de la chaîne de blocs, qui présentent toutes un caractère péremptoire, interrogent à plusieurs titres sur le plan juridique.
Il est dit que, si aujourd’hui Internet est dominé par les grands groupes économiques comme Facebook, Google, etc., la chaîne de blocs qui utilise des plateformes « inviolables » où les données sont cryptées supprime tout intermédiaire, y compris, et surtout, l’État. Le problème est qu’une immense majorité des individus n’est pas en mesure de savoir comment ni par qui sont élaborés les protocoles de la chaîne de blocs, ainsi que le cryptage des données ; et cette technologie ne fonctionne pas seule, elle repose sur Internet. La preuve en est que, si vous ne disposez pas d’Internet aujourd’hui, il vous est impossible d’accéder au marché du Bitcoin et de l’Ethereum qui sont les deux chaînes de blocs les plus connues et les plus utilisées. Il est dit aussi que cette technologie fonctionne « sans intermédiaires », pourtant, on apprend que des « mineurs » sont chargés de valider les blocs de la chaîne. Ainsi, comme l’a souligné H. Croze, les mineurs sont bel et bien des intermédiaires « alors que les apôtres des smart contracts vantent l’intérêt de supprimer le coût des intermédiaires, notamment des rédacteurs » (Croze, 2019, p. 54 ; Mahdoud, 2019). Dans ces conditions, on voit bien que les intermédiaires dont on veut se débarrasser par la chaîne de blocs, qui s’inscrit dans un esprit libertarien5, représentent tout ce qui s’apparente à la puissance publique comme l’État, mais pas des exécutants rémunérés pour le contrôle d’informations échangées dans une transaction quelconque. La logique de la chaîne de blocs est l’exécution automatique et systématique des contrats et accords entre personnes sans possibilité de contourner les termes de ces conventions par des habiles et stratégiques interprétations, à condition que lesdits termes soient clairs.
Pour illustrer la logique de la chaîne de blocs, prenons l’exemple d’un bail d’habitation. Dans le cadre de l’exécution de ce contrat particulier, la finalité de la chaîne serait de supprimer les contentieux interminables qui existent. Comment ? Actuellement, un locataire de mauvaise foi peut demeurer pendant des mois, voire des années, dans un logement sans payer les loyers. De la même manière, un propriétaire indélicat peut encaisser des loyers pendant des mois, voire des années, sans réaliser les travaux nécessaires qui sont à sa charge. Le contrat intelligent viendrait alors supprimer les contentieux devant les tribunaux d’État, trop tolérants envers les personnes de mauvaise foi, en rendant le logement inutilisable (coupure d’électricité, lumières éteintes, portes condamnées, réfrigérateur inaccessible, etc.) pour le locataire récalcitrant ; et, de même, en rendant impossible le transfert des loyers sur le compte du propriétaire qui n’exécute pas les travaux nécessaires dans le logement6. Évidemment, la chaîne des transactions en blocs montrerait plus facilement qui a failli le premier dans la chaîne d’exécution du bail et qui doit être déclaré responsable. C’est ce contexte qui a conduit H. Croze à affirmer : « La prétendue “révolution de la blockchain” ne serait en réalité qu’une révolution probatoire, plus modestement une nouvelle technique, ce qui n’est nullement négligeable » (Hervé Croze, 2019, p. 34).
Ainsi, avec le vote par chaîne de blocs, on pourrait imaginer que le Conseil constitutionnel n’ait plus à rédiger des centaines de décisions après chaque élection législative grâce à l’impossibilité des fraudes habituelles constatées et dont le Conseil estime qu’« à supposer » qu’elles soient avérées, elles n’entachent pas le scrutin7, ce qui est très problématique du point de vue du respect des procédures sans lesquelles le droit n’est plus.
Dans ce contexte, la question se pose de savoir si le vote par chaîne de blocs est, comme l’est devenu Internet depuis les années 1990, en passe de s’imposer aux systèmes électoraux traditionnels. Cela pourrait d’ailleurs s’avérer particulièrement utile en temps de crise comme celui du coronavirus. Cette question qui appelle une réponse prophétique est difficilement appréhendable par l’analyse juridique dans la mesure où cette modalité de vote n’est pas juridiquement définie, hormis l’esquisse de définition qui renvoie à la sphère économique8. Pour autant, la pratique du vote par chaîne de blocs en Virginie-Occidentale permet d’aborder la question en mettant l’accent sur le renouvellement potentiel du mécanisme électoral classique (1) tout en analysant les questions que cette nouvelle pratique soulève au regard de la souveraineté des États (2).
1. Le renouveau du vote électronique par l’avènement de la chaîne de blocs
Bien que les critiques qui bloquent le vote électronique en France depuis les années 1960-70 n’aient pas cessé9, cette modalité d’expression démocratique n’a pas non plus cessé d’évoluer et de gagner du terrain à l’étranger. L’expérience du vote électronique par le biais de la technologie de la chaîne de blocs en Virginie-Occidentale est un cas notoire à analyser. Il convient de s’arrêter un instant sur cette première expérience dans un État américain (1.1) avant d’analyser la manière dont elle pourrait être accueillie en France (1.2).
1.1. La première expérience du vote par chaîne de blocs en Virginie-Occidentale
Si cette expérience apparaît, du moins en apparence, comme un succès (1.1.1), cette modalité de vote politique demeure néanmoins vivement critiquée (1.1.2).
1.1.1. Une expérience au déroulement apparemment réussi
Il convient d’abord de rappeler que le vote par correspondance est autorisé aux États-Unis pour qui peut en bénéficier et qui en fait la demande dans un délai limité avant le scrutin. Pour ce qui concerne les militaires et ressortissants américains ne vivant pas aux États-Unis, une loi fédérale spéciale régit leur situation. Il s’agit de la loi sur le vote par correspondance des citoyens sous uniforme et résidant à l’étranger (Voters Covered under the Uniformed and Overseas Citizens Absentee Voting Act [UOCAVA]) du 28 août 1986. Les États fédérés peuvent définir les modalités du vote de ces catégories particulières d’électeurs. C’est dans ce cadre que la Virginie-Occidentale a expérimenté le vote par chaîne de blocs (CDB).
En effet, la Virginie-Occidentale (VO), État fédéré des États-Unis, a, au cours de l’été 2018 expérimenté avec succès le vote par CDB. Ce vote n’a été cependant permis qu’aux seuls militaires et personnes vivant hors du sol américain. Malgré la véhémence des détracteurs de ce choix politique majeur et osé10, le site du secrétaire d’État de la VO explique dans une vidéo rodée que le vote par CDB, qui est extrêmement encadré, est une réussite.
Selon cet État et la société Voatz11 qui assure la sécurité du scrutin par CDB, vidéo illustrant le processus à l’appui, le vote est garanti en trois étapes. Avant ces trois étapes, plusieurs précautions sont prises. L’électeur doit télécharger l’application de la CDB et remplir un formulaire classique (nom, prénom, date de naissance, etc.) ; il doit donner son empreinte digitale en appuyant sur un bouton spécifique ; et il doit numériser son visage en le bougeant pour éviter qu’un robot puisse le faire à sa place.
D’abord, le vote est sécurisé car il va directement dans la chaîne blocs jusqu’au soir de la journée de la tenue de l’élection ; ensuite, l’électeur reçoit une copie de son bulletin rempli par courriel, ce qui lui permet de vérifier la validation de son vote ; enfin, une copie du bulletin rempli est également envoyée au bureau du secrétaire d’État qui ne peut l’ouvrir qu’aux fins de prononcer les résultats extraits de la CDB ou s’il a des questions à propos du bulletin.
Comment cela fonctionne-t-il ? Des textes et une vidéo (Secretary of State, Mac Warner) sur le site du secrétaire d’État de la VO montrent que le vote est extrêmement encadré. En effet, plusieurs étapes où plusieurs précautions sont prises sont nécessaires pour assurer la sécurité du vote.
- L’électeur doit d’abord demander un bulletin de vote par correspondance depuis une application en ligne (Federal Vote Assistance Program [FVAP]) ;
- Il fait le choix d’un envoi par courriel ou par SMS ;
- Le greffier du comté du lieu du scrutin vérifie l’enregistrement de l’électeur, le valide et lui envoie les instructions par courriel dans les 24 heures à compter de la réception de la demande faite via FVAP ;
- L’électeur doit télécharger l’application de la CDB (Voatz) depuis son téléphone et remplir un formulaire classique (nom, prénom, date de naissance, etc.) ;
- L’application demande à l’électeur de vérifier son identité en numérisant sa carte d’identité ;
- L’application demande ensuite à l’électeur de prendre une vidéo selfie de son visage en le bougeant afin de vérifier qu’il s’agit bien d’une personne vivante et non d’un robot qui agit à sa place ;
- L’électeur attend la vérification de son identité qui peut prendre de longues minutes, sinon davantage ;
- Il se déconnecte de l’application Voatz et se reconnecte en cliquant sur vérification ;
- Apparaît alors à l’écran l’identité vérifiée de l’électeur ;
- Le greffier du comté envoie alors le bulletin précédemment demandé dans l’application Voatz sur le téléphone de l’électeur ;
- L’électeur clique sur la rubrique « élections » de l’application Voatz pour accéder au bulletin ;
- Un écran apparaît avec les nom et prénom, parti politique, comté et État de chaque candidat ; l’électeur peut choisir de voter pour un candidat en cochant la case prévue devant ses nom, prénom… ou voter blanc ;
- Une fois le choix du vote fait, l’application demande à l’électeur de valider son vote par son empreinte digitale en touchant un emplacement spécifique apparu à l’écran ou par un selfie comme vérification biométrique finale ;
- Enfin, pour être certain que le vote est privé, sûr et sécurisé, il est expliqué :
- D’abord, le vote est sécurisé car il va directement dans le registre de la CDB jusqu’au soir de la journée de la tenue de l’élection ;
- Ensuite, l’électeur reçoit une copie de son bulletin de vote rempli par courriel, ce qui lui permet de vérifier la validation de son vote ;
- Dans le même temps, enfin, une copie du même bulletin de vote rempli est également envoyée au bureau du Secrétaire d’État qui ne peut l’ouvrir qu’aux fins de prononcer les résultats extraits du registre de la CDB ou s’il a des questions à propos du bulletin.
- Le soir de l’élection, le registre de la CDB est ouvert et le bulletin de vote de l’électeur est compté comme les bulletins de vote papier.
Force est de constater que cette modalité de vote est des plus complexes. Dans la vidéo précitée de 4 minutes et 19 secondes, on ne dénombre pas moins de quinze étapes (sans compter des sous-étapes) pour voter par la chaîne de blocs en VO. Ce constat conduit à conclure que cette modalité de vote n’est, pour l’instant, dans une société où chacun n’est pas encore familier avec l’outil informatique, pas faite pour les personnes non habituées à l’usage des téléphones intelligents ou pressées alors que la rapidité de ce mode de vote pouvait être l’une des attentes des électeurs rompus à l’usage des nouvelles technologies.
1.1.2. Une expérience critiquée
Par comparaison, la société Orange a mis en place un système de vote en ligne via la chaîne de blocs Etherum dont il est expliqué qu’il « vise à réengager les citoyens dans la vie de leur commune et promouvoir la démocratie participative. Notre solution 100 % mobile et notre application gratuite pour tous les citoyens simplifie le processus de vote et offre une nouvelle énergie à la démocratie digitale ». (Dubois, 2018). Le P-DG d’Orange, Stéphane Richard (2011-2022), a beau parler « des scrutins en ligne dont les processus sont décentralisés et respectent strictement le principe d’anonymat » (Dubois, 2018), les critiques demeurent intactes dans la mesure où les mineurs chargés de valider les blocs d’opérations de la chaîne peuvent certainement avoir accès au contenu du vote et à l’identité de son émetteur de l’autre côté de l’écran12. L’expérience virginienne du vote par CDB n’a pas échappé à ces critiques liées au manque de transparence et au risque de fraude dans le processus13.
Cette critique du vote par CDB s’inscrit donc dans un contexte plus global, celui du traitement algorithmique des décisions publiques. S’agissant du cas américain, C. O’Neil explique très bien ce contexte :
« Depuis une dizaine d’années, aux États-Unis, nous déléguons à des outils mathématiques des décisions majeures touchant à l’éducation, la santé, l’emploi ou la justice, avec une prétention à l’objectivité. Les personnes qui sont aux manettes voudraient faire croire que les arbitrages sont effectués en toute neutralité par les chiffres, mais, bien sûr, ce sont elles qui exercent le pouvoir de décision. » (O’Neil, 2018)
Ces critiques légitimes prennent une place plus importante depuis les élections américaines de 2020. En effet, le vote électronique est, depuis l’élection de Joe Biden, grâce notamment à l’important appui de la communauté noire des États-Unis via le mouvement Black Lives Matter, contesté par le camp des républicains qui tentent, par des législations au sein d’États comme le Texas, de limiter le vote à distance en général qui, il est vrai, favorise la participation de la masse populaire peu intéressée habituellement par les processus électoraux. Ces législations limitatives du vote électronique pourraient cependant se trouver neutralisées dans leurs effets par le législateur fédéral car le mouvement précité fait actuellement pression sur l’administration Biden afin qu’elle fasse adopter par le Congrès américain le For the People Act, projet de loi visant notamment à contrecarrer les lois étatiques qui limitent cette modalité de vote au niveau fédéré.
Si l’on se cantonne au secret du vote, qui demeure un cadre absolu en France, ce traitement informatique, algorithmique ou mathématique ne convient pas aux scrutins politiques. Pour P. Martin, le secret du vote est une garantie « permettant une participation libre » et « dégagée des pressions » (2006, p. 9). Mais, comme l’a soulevé ce même auteur, pour certains, le secret du vote serait immoral « car il permettrait à certains de céder à des opinions indignes ou trop égoïstes qu’ils n’auraient osé soutenir en public » (2006, p. 19). On aurait tort de rejeter complètement cet argument dans la mesure où le secret du vote remet, d’une certaine manière, en cause sa sincérité comme le montrent les arrangements non démentis entre Bernard Tapie et Jean-Marie Le Pen lors des législatives de 1993 (Soucheyre, 2019 ; Rakotoarison, 2019).
En d’autres termes, le vote par CDB serait préférable pour la sincérité du scrutin mais pas pour le secret du vote. Celui-ci s’inscrit, selon P. Martin, dans la conception libérale de la société occidentale. L’auteur affirme : « Le succès du vote secret est significatif de la victoire de la conception libérale et individualiste du vote, et plus généralement de la “privatisation” de l’activité politique qu’elle signifie pour le plus grand nombre » (Martin, 2006, p. 20). Ainsi, « le vote secret n’a pas seulement pour effet de protéger le faible contre des pressions sur le fort, il isole également l’électeur de ses égaux, et permet ainsi de rompre dans l’isoloir des solidarités dont il se sentirait tenu d’afficher en public (ouvrier votant à droite contre les consignes de son syndicat, par exemple) » (2006, p. 20). Suivant ces considérations, le secret ne favorise pas la sincérité du scrutin. Il joue le rôle d’« une mesure raisonnable instituée en fonction de la société telle qu’elle est, avec toutes ses inégalités, et non pas d’une société idéale où chacun pourrait afficher ses opinions en toute liberté et toute indépendance » (2006, p. 21). Cependant, l’auteur n’ignore pas que « l’instauration du vote secret sur le modèle australien (avec isoloir) a pu être utilisée contre la démocratie, afin de restreindre la participation des noirs aux élections dans le sud des États-Unis à partir de 1888 » (2006, p. 21).
Ces conceptions du vote secret montrent qu’il s’agit d’un principe ambivalent dont le respect à tout prix ne se justifie pas toujours ; il pourrait ainsi être dépassé dans le cadre d’une nouvelle sphère démocratique.
Comme l’a souligné B. Morel, ce n’est pas tant le risque d’erreur technique lors du vote électronique qui est un problème que l’impossibilité pour le juge d’accéder aux éléments lui permettant d’assurer un contrôle des opérations de vote (2018, p. 384) sans l’intermédiaire de spécialistes dont il ne comprend pas forcément les méthodes de travail.
Selon G. Koubi, ces modalités de vote sont une manière de tenir encadré le citoyen-électeur qui, en définitive, demeure « inévitablement éloigné des affaires publiques » (2015, p. 289) alors qu’il devrait en être l’acteur principal. L’auteure remarque également que, si le vote électronique par Internet14 n’a pas eu le succès escompté, Internet est largement utilisé depuis quelques années pour des consultations en ligne, et elle souligne en même temps l’effet platonique des résultats de celles-ci car elles ont lieu « sans qu’elles accèdent pour autant à un rang décisionnel » (2015, p. 278). Cependant, si ce constat est vrai du point de vue juridique, depuis quelque temps, il semble qu’un changement soit apparu et que l’on s’aperçoive au contraire que les résultats de consultations en ligne sont porteurs d’une charge contraignante, du moins du point de vue politique15. Reste à savoir les chances de cette modalité de vote par CDB de s’appliquer en France.
1.2. Les signaux d’un climat propice à la chaîne de blocs électorale en France
Il convient d’entendre par chaîne de blocs électorale une CDB destinée à la tenue de scrutins dans des élections politiques, à l’instar des élections législatives, présidentielles ou européennes. Plusieurs éléments permettent de prédire que la CDB, en matière d’élections politiques, pourrait un jour s’imposer dans le système français. Ces signaux sont perceptibles à la fois dans la jurisprudence (1.2.1) et dans la pratique de plus en plus fréquente des consultations en ligne initiées par l’État (1.2.2), désormais soutenues par les menaçantes crises provoquées par des pandémies comme la Covid-19.
1.2.1. Les signaux émis par la jurisprudence ordinaire et constitutionnelle
Si l’expérience du vote électronique dans les scrutins politiques reste timide en France, elle est devenue courante dans les scrutins professionnels. On le voit avec le développement de sociétés comme Alphavote, Neovote, Docaposte ou encore Legavote. De ce fait, les techniques liées à la sécurité du vote électronique dans le milieu professionnel, préconisées notamment par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) [délibération n° 2019-053 du 25 avril 2019 portant adoption d’une recommandation relative à la sécurité des systèmes de vote par correspondance électronique, notamment via Internet], doivent, sous le contrôle du juge, respecter les principes généraux du droit électoral. En l’absence d’expériences conséquentes de cette modalité de vote en milieu politique, son utilisation en milieu professionnel sera ici observée afin de percevoir la manière dont elle pourrait être plus largement accueillie dans les scrutins politiques.
En milieu politique, le vote électronique, auquel appartient le vote par CDB, est aujourd’hui permis pour les seules communes de plus 3 500 habitants, dont certaines décident d’y recourir après autorisation du préfet, bien que le gouvernement ait récemment manifesté sa volonté de mettre fin à l’usage des machines à voter, ce qui a heurté les communes ayant adopté cette modalité de vote (Zignani, 2017). L’article 4 du projet de loi avorté pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, qui porte sur l’élection des députés des Français établis hors de France, dans le but de « renforcer la sécurité juridique du scrutin »,
« prévoit que le recours au vote par correspondance sous pli fermé ne sera plus possible le jour où les conditions de mise en œuvre du vote par Internet permettront de garantir le secret du vote et la sincérité du scrutin. Le respect de ces conditions sera matérialisé par la décision d’homologation, par le ministre des Affaires étrangères, du système d’information du vote électronique ». (Assemblée nationale, 2018)
Si l’on se fie à certaines positions jurisprudentielles sur l’usage des nouvelles technologies en matière électorale, l’électorat des Français de l’étranger pourrait être une porte d’entrée pour le vote par CDB.
1.2.1.1. Les signaux donnés par la jurisprudence civile
La chambre sociale de la Cour de cassation a, dans son arrêt n° 17-29.022 du 3 octobre 2018 sur le vote électronique dans les milieux professionnels, jugé que l’exercice personnel du droit de vote constitue un principe général du droit électoral auquel seul le législateur peut déroger. Donc le principe du vote électronique est accepté dans le milieu de l’entreprise ; il conviendrait de prévoir les mêmes garde-fous pour le vote par CDB à plus grande échelle, afin de prévenir les problèmes techniques ainsi que les fraudes qui peuvent en résulter.
1.2.1.2. Les signaux envoyés par la jurisprudence administrative
Si le Conseil d’État appelle les pouvoirs publics à « compenser le point faible de cette technologie [à savoir la CDB], qui est la certification de la relation entre le monde réel et le monde virtuel » (2017, p. 69)16, il n’en précise pas moins que « la blockchain est susceptible d’usages particulièrement intéressants dans des perspectives d’intérêt public ». On peut admettre que la CDB puisse aussi être utilisée pour un vote politique qui est éminemment d’intérêt public. Par ailleurs, le Conseil d’État a, le 3 octobre 2018, rendu une décision assez intéressante17. Dans cette affaire, la fédération CGT Santé-Action sociale, requérante, contestait la légalité du décret n° 2017-1560 du 14 novembre 2017 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du vote électronique par Internet pour l’élection des représentants du personnel au sein des instances de représentation du personnel de la fonction publique hospitalière. Le Conseil d’État a jugé que :
« Le recours au vote électronique par Internet à l’exclusion de toute autre modalité est possible, dès lors que des précautions appropriées sont prises pour que ne soit écartée du scrutin aucune personne ne disposant pas à son domicile du matériel nécessaire ou résidant dans une zone non desservie par Internet ou encore ne pouvant se servir de ce mode de communication sans l’assistance d’un tiers18. »
Pour le Conseil d’État, dès lors que « le respect des principes généraux du droit électoral, de complète information de l’électeur, de libre choix de celui-ci, d’égalité entre les candidats, de secret du vote, de sincérité du scrutin et de contrôle du juge » peut « être assuré à un niveau équivalent à celui des autres modalités de vote », ce que la haute juridiction administrative estime être le cas au regard du contenu du décret attaqué, l’exclusivité du vote en ligne est juridiquement possible. Le Conseil d’État conclut également que la délibération de la CNIL ne s’impose pas au pouvoir réglementaire qui peut la suivre ou pas. Mais il ne s’agit là que d’une conformité théorique, le Conseil d’État n’ayant aucune possibilité de vérifier concrètement la survenance d’éventuelles fraudes, il devra se soumettre aux experts, comme le fait le Conseil constitutionnel en matière de lois de nature financière19, ou aux personnes possédant un degré de connaissances techniques et scientifiques élevé20.
1.2.1.3. Les signaux constatés dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Dans un communiqué de presse du 29 mars 2007 sur les machines à voter, le « Conseil constitutionnel a tenu à rappeler […] que l’utilisation des machines à voter pour les élections, notamment présidentielles, est autorisée par le législateur depuis 1969. / Ce recours aux machines à voter dans les conditions fixées par l’article L. 57-1 du Code électoral a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ». En d’autres termes, il revient au législateur de s’assurer des conditions du bon déroulement du scrutin et du respect de ce que le Conseil d’État qualifie de « principes généraux du droit électoral ». Bien que cette position du Conseil constitutionnel, exprimée dans un simple communiqué de presse, ait été sévèrement critiquée par une partie de la doctrine (Thorel, 2007) et qu’elle ait une valeur plus proche de l’imperium que de la jurisdictio, elle émane du juge constitutionnel lui-même qui demeure lié par elle.
Dans une décision du 12 juin 2018, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur l’usage des algorithmes, plus proches de la technologie de la CDB, dans le traitement des demandes des administrés par l’administration, une décision qui s’avère très intéressante à ce propos. Le juge de la rue de Montpensier y a jugé que « le législateur a défini des garanties appropriées pour la sauvegarde des droits et libertés des personnes soumises aux décisions administratives individuelles prises sur le fondement exclusif d’un algorithme21 ». Autrement dit, dès lors que le législateur prend des précautions pour assurer les droits et libertés des personnes et la transparence des décisions prises sur le fondement d’une telle technologie, il lui est loisible de permettre l’usage de celle-ci. On voit mal comment il pourrait en aller autrement si le législateur venait à décider d’adopter la modalité de vote par CDB.
Encore plus proche du vote par CDB, le système de soutien électronique aux propositions de loi visant à organiser un référendum d’initiative partagée (RIP) prévu à l’article 11 de la Constitution et qui, pour la première fois, a été mis en œuvre pour empêcher la privatisation des aérodromes de Paris en 2019, permet de cerner plus précisément la position du Conseil constitutionnel sur le vote électronique. Dans sa décision-observations n° 2019-1-9 RIP du 18 juin 2020, le Conseil constitutionnel souligne le succès du recueil de soutiens presque exclusivement électronique, bien qu’il précise, toutefois, que « cette procédure électronique de recueil des soutiens a également présenté certaines insuffisances et plusieurs défauts » et que « si ceux-ci n’ont pas eu de conséquences déterminantes sur l’issue des opérations, [ils] ont pu contribuer à altérer la confiance des citoyens dans cette procédure »22. Ainsi, ces difficultés, d’ordre essentiellement technique et ergonomique (usage complexe du site Internet dédié au recueil vu comme peu intuitif et insuffisamment adapté à une consultation destinée à un large public, incohérence nominative entre la carte d’identité et le registre électoral unique de l’Insee23, etc.), ne sont, pour le Conseil constitutionnel, pas de nature à décourager le vote électronique qui demeure largement marginalisé quant à sa pratique en France. D’ailleurs, le Conseil l’a dit et répété, « la plupart de ces difficultés n’ont cependant pas eu de conséquences déterminantes sur l’issue des opérations ». Enfin, le Conseil constitutionnel réaffirme le constat qu’il a fait dès le début de sa décision-observations : « En définitive, pour une première expérience de participation citoyenne à l’échelon national, sous une forme quasi-entièrement électronique, le bilan peut rassurer quant à la faisabilité d’une procédure principalement numérique. » Ce constat va dans le sens d’un élargissement de l’usage du vote électronique en matière politique en France, notamment après cette période de crise sanitaire née de la Covid-19 qui a mis le numérique au centre de la vie sociale où bien des événements n’ont pu se tenir qu’à distance. C’est pourquoi le Conseil s’est solennellement adressé aux autorités de l’État en affirmant : « Les difficultés observées ci-dessus devraient conduire le ministère de l’Intérieur et, plus largement, les pouvoirs publics à réfléchir aux possibles améliorations du dispositif électronique de recueil des soutiens », et cela, « sans préjudice d’éventuelles évolutions de son cadre juridique ».
Ces signaux positifs du côté des tribunaux chargés de contrôler le respect des principes fondamentaux des modalités de vote sont complétés, outre le système de soutien aux RIP qui vient d’être évoqué, par les expériences consultatives et participatives en ligne qui ont tendance à s’imposer aux pouvoirs publics.
1.2.2. L’apport des expériences participatives et consultatives en ligne
Le vote électronique à distance est monnaie courante en France, même si les résultats qui en découlent n’ont pas de valeur juridique. Le projet de loi pour une République numérique devenu loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 a, du moins en partie, été élaboré par consultation en ligne24. Plus récemment, la consultation citoyenne lancée par l’Assemblée nationale entre février et mars 2019 sur le changement d’heure a été réalisée en ligne25. Seules 2,1 millions de personnes ont participé à cette consultation. Pour un électorat de près de 45 millions de personnes, c’est peu ; cela montre que le vote électronique à distance, et donc celui effectué par chaîne de blocs, ne remplacera pas demain le système de vote classique, mais il constitue certainement une alternative qui prendra de plus en plus de place.
De la même manière, la participation citoyenne au Grand Débat national lancé du 13 janvier au 15 mars 2019 par le président Macron s’inscrit dans ce registre. Et, bien que le processus de consultation en ligne ait été critiqué (Berne, 2019), voire contesté, le pouvoir politique a tiré certaines conséquences des résultats qui en découlaient, puisque le président de la République a, lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019, évoqué plusieurs mesures retenues pour être transformées en textes normatifs, à l’instar de la prise en compte du vote blanc et le référendum d’initiative citoyenne, même si le président exprime des réserves sur ces points.
Toutes ces opérations électorales à valeur consultative, mais ayant des conséquences concrètes sur l’organisation et le fonctionnement du système démocratique français, se passent sous l’œil du Conseil constitutionnel qui n’a souvent pas pu exercer son contrôle de gardien de la Constitution de 195826, mais il n’est pas non plus certain que le juge de la rue de Montpensier veuille s’aventurer sur ces terrains éminemment politiques.
Bien que le rapport de l’Assemblée nationale précité juge « nécessaire un encadrement du développement des blockchains par l’application de normes de droit positif » , il reconnaît que des voix s’élèvent pour demander « à ne pas brider l’innovation et à tirer les enseignements de l’usage des “blockchains” avant de légiférer » (Raudière, Mis, 2018, p. 86) à leur encontre. D’ailleurs, sans doute poussé par la crise sanitaire due à la Covid-19 qui a mis à mal à plusieurs reprises l’expression démocratique (reports des élections municipales et régionales-départementales), l’ancien président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, dans ses observations sur le rapport qu’il a remis au Premier ministre le 13 novembre 2020 à propos du report des élections régionales et départementales de 2020, s’est montré favorable au développement du vote électronique par Internet puisqu’il suggère au gouvernement « d’envisager le développement du vote par correspondance ou par Internet » (Debré, 2020).
Cependant, l’usage de la CDB dans les élections politiques pose la question de la souveraineté de l’État eu égard notamment au mode de fonctionnement de cette technologie.
2. Le vote par chaîne de blocs : une technique en prise avec la souveraineté de l’État
Le vote par CDB, comme le vote électronique par Internet en général, pose la question de la souveraineté de la plupart États, qui ne mènent pas la danse des technologies numériques et d’Internet. La technologie de la CDB n’est, pour le moment, pas opérationnelle sans une connexion à Internet. De ce fait, les critiques visant habituellement la gestion d’Internet en réseau n’échappent pas à la gestion de la CDB (2.1). Cependant, malgré ces critiques légitimes, il se pourrait que cette modalité de vote devienne incontournable de la même manière qu’Internet est devenu indispensable dans le quotidien des individus (2.2).
2.1. Le problème du fonctionnement par Internet de la chaîne de blocs
S’il est impossible de créer une CDB sans l’usage d’Internet, la question principale à propos de la modalité de vote fondée sur cette technologie doit porter d’abord sur la gestion de l’Internet mondialisé par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) (2.1.1) afin de mieux appréhender le problème de la souveraineté de l’État qu’il pose (2.1.2).
2.1.1. Un problème lié à la gestion de l’Internet mondialisé par l’ICANN
Aujourd’hui, on le sait, Internet est géré par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) ou Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet, dont le siège se trouve en Californie aux États-Unis. Cette implantation américaine du gestionnaire d’Internet suscite l’inquiétude27 de certains spécialistes des intelligences artificielles comme L. Alexandre qui affirme : « Le scénario le plus probable dans les dix à quinze prochaines années n’est pas un éclatement d’Internet mais une bifurcation entre un Internet dirigé par les Chinois et un Internet non chinois dirigé par les États-Unis » (2019, p. 54).
Ce point de vue est partagé par certains juristes. Par exemple, J. Arlettaz affirme qu’« en théorie en effet, l’ICANN peut tout simplement effacer, en un clic, l’ensemble des ressources d’un État ou rendre inaccessibles toutes les adresses en “.fr” » (2010, p. 43).
Face aux critiques dont il a fait l’objet, l’ICANN a dû se réorganiser. Mais ce n’est qu’en 2016 que l’organisme a, sous l’impulsion de Barack Obama, mis fin « à sa dépendance juridique avec le Département du commerce du Gouvernement américain » (Arlettaz, 2010, p. 43)28. Bien que, désormais, on puisse affirmer que l’« ICANN et le gouvernement américain : c’est fini » (Ailliot, 2016), cette société demeure une entreprise stratégique de nationalité américaine et qui peut d’un moment à l’autre se mettre discrètement au service du gouvernement de son État. En effet, comme l’a souligné un article du Monde en 2016, la gestion d’Internet représente un « [e]njeu géopolitique majeur » (Benchoufi, Chiche, 2016). Les auteurs de cet article affirment :
« Depuis toujours, les États-Unis, convaincus d’avoir une responsabilité historique dans le fonctionnement et le développement d’Internet, ont orienté sa gouvernance selon leurs intérêts. Ils ont placé une association de droit privé californien, l’ICANN, au centre du dispositif d’adressage et de nommage : allocation des adresses IP et gestion des noms de domaines ressources assurée par le DNS [Domain Name System]. »
Et même si on affirme que l’ICANN « a également permis aux internautes du monde entier d’élire leurs représentants au sein [de son] Directoire » (Benchoufi, Chiche, 2016), nombre d’électeurs de différents pays, et pour différentes raisons, n’ont jamais pu prendre part à une telle élection. Donc le problème de la gestion du Web demeure intact au regard de la souveraineté des États, ce qui, pour le moment, plombe l’idée d’un vote souverain à tous les niveaux d’un État par le biais de la CDB.
C’est d’ailleurs dans cet esprit que le rapport de l’Assemblée nationale précité propose d’« engager l’Union européenne dans une action résolue et indispensable à la préservation de notre souveraineté » (Raudière, Mis, 2018).
2.1.2. Une gestion incompatible avec la souveraineté de l’État
La souveraineté, traditionnellement considérée comme « autorité politique exclusive » (Gicquel, Gicquel, 2015, p. 69) de l’État, est un attribut essentiel de celui-ci lui donnant droit de tout décider sur son territoire et dans la conduite de ses affaires intérieures comme extérieures (Gicquel, Gicquel, 2015, p. 70-74). Mais on peut se demander si, avec le développement des nouvelles technologies et du cyberespace, on ne passerait pas d’une souveraineté de l’État au sens classique à une souveraineté de l’individu, sachant que l’objectif libertarien des penseurs de la technologie de la CDB est clairement de réduire la puissance de l’État qui écraserait l’individu par ses pouvoirs exclusifs comme celui de battre monnaie (Raudière, Mis, 2018, p. 63-64).
Les CDB publiques, dites sans permissions, c’est-à-dire ouvertes à toutes et tous, sont considérées comme pouvant être « l’incarnation de valeurs politiques et sociales, comme la transparence et la redistribution du pouvoir » (Boucher, Nascimento, Kritikos, 2017, p. 6). Quant aux CDB à permissions, dont le fonctionnement et l’accès sont limités à quelques acteurs, tel l’État, elles sont considérées comme étant « moins transparentes et décentralisées que leurs homologues sans permissions, si bien qu’elles incarnent des valeurs sociales et politiques légèrement différentes » (Boucher, Nascimento, Kritikos, 2017, p. 6). Dans ce cas, on revient au système des registres traditionnels avec toute leur imperfection en termes de transparence et de confiance.
Selon un spécialiste, la CDB est « le grand registre des transactions29 ». Tout le problème est la clé permettant de décrypter ces transactions et donc, potentiellement, de les manipuler en les modifiant à des fins malveillantes. La question n’est pas tant qui possède cette clé, mais combien d’individus la possèdent et/ou sont susceptibles de la connaître. Dès lors se pose aussi la question de la souveraineté non plus à l’échelle de l’individu, mais à celle des États. Ainsi, le cas des États, comme la Chine ou les États-Unis, qui dominent l’Internet et le monde numérique en général se trouve au centre du débat sur la perte de souveraineté des petits États face à ces grandes puissances tant en matière politique que militaire et économique (Pierucci, Aron, 2019 ; Pierucci, 2019)30. C’est pour pallier ce risque que la France relance son projet de « cloud stratégique » (projet Andromède abandonné en 2009), du moins pour les données « les plus sensibles », afin, clairement, d’empêcher les GAFAM31 américains de transférer des données d’entreprises françaises au gouvernement américain (Lamigeon, 2019 ; Gauvain, 2019). Dans cette situation, face aux grandes puissances précitées, les États de l’Union européenne, pris individuellement, sont dans une situation de faiblesse. C’est sans doute pour cette raison que l’Union européenne s’est récemment dotée de deux règlements importants en matière de régulation numérique, le Digital Services Act (règlement sur les services numériques) et le Digital Markets Act (règlement sur les marchés en ligne). Le premier, bien que non axé sur les questions politiques, est intéressant pour notre étude car il pose le souci de la souveraineté numérique de l’Union européenne. Selon la Commission européenne, le Digital Services Act vise à « assurer un environnement digital sécurisé et responsable32 ». Et, plus largement, parmi les principaux objectifs de ce règlement, se trouve la volonté de permettre « un plus grand contrôle démocratique et une meilleure supervision des grandes plateformes33 ».
Comme la CBD ne fonctionne pas à l’aide d’un organe central de contrôle, à l’instar de traditionnels registres de comptes bancaires ou de cadastres, les experts affirment que :
« N’importe qui peut demander l’ajout d’une transaction à la chaîne de blocs, mais une transaction n’est acceptée que si l’ensemble des utilisateurs s’accordent sur sa légitimité, par exemple sur le fait que la demande provient bien d’une personne habilitée, que le vendeur de la maison ne l’a pas déjà vendue, et que l’acheteur n’a pas déjà dépensé l’argent. Cette vérification s’effectue de manière fiable et automatique pour le compte de chaque utilisateur, ce qui crée un système de registre très rapide, sûr et remarquablement résistant à la falsification. » (Boucher, Nascimento, Kritikos, 2017, p. 5)
Mais cette affirmation pose un problème dans la mesure où la transparence absolue à laquelle elle invite à croire n’est pas démontrée ; elle a même donné des signes clairs du contraire. En effet, il est dit que la « vérification [des transactions et/ou opérations de la CDB] s’effectue de manière fiable et automatique pour le compte de chaque utilisateur » (Boucher, Nascimento, Kritikos, 2017, p. 5). Tout le problème repose sur le « pour le compte de chaque utilisateur ». Cette information suppose un tiers de confiance sur la légitimité duquel « l’ensemble des utilisateurs s’accordent ». Qui est ce tiers de confiance unanimement légitime ? Comment est institué ce tiers de confiance ? Qu’est-ce qui permet d’avoir un tel niveau de confiance en ce tiers si l’on ne dispose pas de moyens permettant de vérifier individuellement l’origine desdites transactions et opérations ? Sans des réponses concrètes à ces interrogations, bien qu’il soit infirmé de manière pompeuse que « si une attaque contre l’intermédiaire suffit pour détruire ou altérer un registre traditionnel, il est nécessaire, dans le cas d’une chaîne de blocs, de réussir une attaque simultanée contre chacune des copies du registre » (Boucher, Nascimento, Kritikos, 2017, p. 5), la confiance et la transparence absolues dont on parle ne pourront, rationnellement et objectivement, être que théoriques, la masse de la population ne sera pas prête à accepter une telle affirmation qui, d’ailleurs, pourrait avoir pour conséquence de renforcer les thèses nées de ce que certains appellent, non sans ambiguïtés, populisme ou complotisme.
On peut donc s’interroger sur l’objectif final de certaines entreprises multinationales, comme Microsoft, qui se lancent dans la diplomatie parallèlement aux États. En effet, Microsoft mène depuis des années des campagnes pour la « paix dans le cyberespace » au point, selon Le Monde, de « concurrencer les diplomaties traditionnelles » conduites par les États (Untersinger, 2018). Son président et directeur juridique, Brad Smith, croit à la paix entre États dans le cyberespace, mais avec une lucidité qui ne trahit pas la démarche : « L’espionnage fait partie de l’activité des États depuis leur apparition. Nous ne défendons pas l’arrêt de cette activité quand elle est faite légalement et de manière responsable. Ce sur quoi nous nous concentrons, à ce stade, c’est la protection des civils, des citoyens innocents, des hôpitaux, des écoles » (Untersinger, 2018). Mais toute la question est de savoir si cet optimisme de Microsoft peut et doit être partagé par tous au point de mettre une confiance totale dans les systèmes de vote par CDB alors même que des États comme la France ont à plusieurs reprises soupçonné des États étrangers d’avoir tenté de s’interférer dans des processus électoraux internes (Laparade, 2017). Là encore, la confiance dans ce système de vote laisse planer du moins un certain doute.
Néanmoins, si cette expérience du vote électronique parvient à convaincre et à mobiliser suffisamment les individus à la chose publique, on peut imaginer que son usage finira par s’imposer ; en ce sens, on ne peut pas, par principe, fermer la porte au vote par CDB, bien que les questions liées à la sécurité du vote demeurent entières.
2.2. Le vote par chaîne de blocs : une révolution incontournable ?
Il est sans cesse répété que la technologie de la CDB « est révolutionnaire car elle instaure d’emblée la confiance dans le réseau, sans dépendre d’une autorité centrale » (Benchoufi, Chiche, 2016). Si l’on parvient à faire croire à cette confiance, à défaut de démontrer sa réalité, le vote par CDB s’imposera, comme Internet dans les années 1990 (2.2.1), à condition que les recherches portant sur cette technologie soient investies tant par des initiatives privées que par les pouvoirs publics (2.2.2).
2.2.1. L’avènement d’Internet et la chaîne de blocs : deux phénomènes comparables
L’avènement d’Internet a suscité de nombreuses inquiétudes dans les années 1990 (Bellon, 2018 et 2019), mais il est aujourd’hui un outil indispensable du quotidien. Rien n’empêche que la technologie de la CDB emprunte la même voie malgré les dangers qu’il pointe.
Le principal danger du vote électronique concerne la sincérité du scrutin et le secret du vote (Le Bot, 2010, p. 58-62). Quant à la sincérité du vote – largement liée à des problèmes techniques ou à une possible configuration ou manipulation malveillante des machines à voter (Anziani, Lefèvre, 2014 ; Deromedi, Détraigne, 2018) ou des systèmes informatiques connectés à Internet sans possibilité de prouver d’éventuelles fraudes –, la CDB fait la promesse de la garantir par son mode de fonctionnement décentralisé avec des données infalsifiables, car cryptées, et dont toute tentative de fraude serait impossible du fait que tout le scrutin serait affecté et donc annulé, ce qui empêcherait qu’un candidat en tire un quelconque profit. Mais, dans l’hypothèse où un État étranger pourrait provoquer, par un acte de guerre informatique, l’annulation de tout un scrutin tenu dans un autre État, cela pose là encore la question de la souveraineté des États que ne pourrait pas garantir la CDB34, du moins dans son mode de fonctionnement actuel.
Hormis cette difficulté liée à la gestion actuelle d’Internet sur lequel repose le fonctionnement de la CDB, la sincérité du vote paraît surmontable. Mais on sait que la sincérité du vote n’est pas seulement en danger du fait de l’outil informatique utilisé ; elle l’est également du fait de postures politiques extérieures aux modalités pratiques du vote35. Partant de là, le secret du vote ne paraît pas nécessaire, bien que le juge constitutionnel y voie un élément de garantie de la sincérité du scrutin36 ; l’absence du secret pourrait même s’avérer un levier important pour un franc dialogue entre les membres du corps social. En ce qui concerne la sincérité du scrutin, si le progrès technique permet de l’évacuer dans le vote par CDB, les humains entre eux trouveront toujours une manière de la fausser, à moins qu’une sanction exemplaire les en dissuade.
Enfin, si l’on admet que nous sommes entrés dans une « nouvelle démocratie » (Le Bot, 2010, p. 57), on peut s’interroger sur ce que signifie symboliquement le secret du vote dans le fonctionnement d’une société démocratique. Ne pourrait-on pas s’en passer ? Autrement dit, le secret du vote est-il si important que cela ? Ce secret n’est-il pas le reflet du manque de transparence dans le fonctionnement des institutions et des services que celles-ci assurent ? Cette interrogation, qui est encore vive s’agissant d’Internet et de ses différents usages, pourrait occuper une place centrale dans les études des potentialités de la CDB.
2.2.2. Le pari de la recherche sur les potentialités de la chaîne de blocs
Bien que les critiques du vote électronique classique, qui pourrait également s’adresser au vote par CDB, doivent s’exprimer afin de construire un système de vote le plus fiable possible, elles ne doivent pas empêcher toute recherche sur les potentialités de cette technologie dans le vote politique37. De plus, si cette modalité de vote peut faire craindre la montée de ce qu’on appelle péjorativement le « populisme », elle pourrait également en être un rempart contre celui-ci. C’est ce qu’explique G. Mentré : « Les citoyens rendus participants et assesseurs du système souhaiteront bientôt s’exprimer sur les conditions mêmes du vote. On peut craindre que cela ouvre la porte à plus de populisme. Mais on peut aussi penser qu’une telle évolution constituera au contraire le meilleur rempart contre le populisme, chacun devenant coresponsable du système tout entier » (2018). Sur ce point, L. Alexandre pointe une opposition entre deux camps : « L’avenir serait celui d’une lutte entre progressistes ouverts aux changements technologiques et conservateurs – bioconservateurs – qui ne veulent pas en entendre parler et s’y opposeraient » (2019, p. 7).
C’est dans cette optique que de nombreuses voix s’élèvent pour qu’une recherche sérieuse soit conduite sur les potentialités de la technologie de la CDB. Le rapport d’une mission parlementaire de l’Assemblée nationale propose d’aller en ce sens. En effet, si ce rapport soulève des réserves quant à l’usage de la CDB dans les élections politiques, il n’en propose pas moins d’investir dans cette technologie afin de ne pas, une fois de plus, être des simples spectateurs et suiveurs obligés d’une marche technologique qui nous dépasse. Le rapport Landau susvisé sur les cryptomonnaies va dans le même sens.
Certes, en matière électorale, le rapport de la mission parlementaire soulève que « les informations recueillies par la mission donnent à penser que les caractéristiques de la technologie soulèvent des questions auxquelles il paraît difficile d’apporter aujourd’hui des réponses totalement satisfaisantes, en tout cas pour l’organisation de scrutins nationaux et locaux » (Raudière, Mis, 2018, p. 66). Néanmoins, il constate que l’expérience des autorités de Genève en Suisse montre que « le recours aux blockchains rend possible la création d’une urne électronique qui permet d’établir le nombre de votants, sans que l’on sache vers qui se sont portés leurs suffrages », sans ignorer que le procédé de « la connaissance des pseudonymes utilisés par les électeurs permet […] de retracer l’expression de leurs suffrages » (Raudière, Mis, 2018, p. 66). Celui-ci ne résout donc pas le problème du secret du vote. Malgré ce point qui concerne un principe fondamental du système électoral français, le rapport conclut que « les contraintes et limites auxquelles se heurtent encore aujourd’hui les blockchains ne sauraient conduire à en exclure l’usage car la technologie procure un indiscutable levier de modernisation » (Raudière, Mis, 2018, p. 66).
Par ailleurs, d’autres pays européens semblent plus optimistes sur l’avenir du vote par CDB. Par exemple, en Belgique, il est affirmé que :
« Techniquement, rien ne s’oppose à ce que le contrat intelligent de la blockchain fasse son entrée en politique. Il “suffirait” d’attribuer à chacun une adresse électronique à usage unique (on ne vote qu’une fois). Chaque électeur pourrait voter pour l’adresse électronique électorale de son candidat. La blockchain rendrait les résultats transparents, tout en maintenant l’anonymat des votants. À la fermeture de la session de vote, les résultats seraient publiés automatiquement. » (Verset, 2019)
Conclusion
Les perspectives du vote par chaîne de blocs (ou blockchain) sont encouragées par les revendications d’une démocratie directe et libertarienne qui accompagne le développement de cette technologie. Sur ce point, S. Ozil fait remarquer à juste titre que les systèmes démocratiques actuels, tant au niveau national que supranational, ont tous été construits à une époque où Internet n’existait pas (2018). Il convient de prendre en compte, désormais, une époque où des crises de type Covid-19, nécessitant le confinement des populations, pourraient être amenées à surgir de manière récurrente à l’avenir. Cela signifie que ces systèmes ne sont plus en phase avec la société des individus connectés et des nécessités politiques et sociales. Il faut donc penser sérieusement la question de l’usage des algorithmes en général dans la promotion de la démocratie. Les opérations de vote (tenue du bureau, dépouillement, comptage, annonce de résultats) ont toujours été confiées à un petit nombre de personnes, souvent âgées, même si le processus est théoriquement ouvert à tout le monde. La question se pose alors de savoir ce qui pourrait justifier que cette même confiance ne puisse être mise dans les personnes manipulant les algorithmes de la CDB au nom de l’État dans le cadre d’un vote.
Sans vouloir se vouer à un mimétisme béat de l’expérience américaine du vote par chaîne de blocs, il convient d’observer et d’analyser les potentialités de cette technologie afin de ne pas abandonner son exploitation à d’autres, comme cela a été fait pour Internet après l’expérience du Minitel. À moins que la quantité d’espace nécessaire au stockage des données dans les CDB, qui se mesure en térabits, ne freine le développement de cette technologie. Mais, dans la mesure où les données électorales seraient détruites entre deux élections d’une même nature, le problème pourrait en définitive ne plus se poser.
Enfin, si la technologie de la CDB ne répond pas au principe du secret du vote, alors qu’elle répondrait à celui de la sécurité de celui-ci, on pourrait se demander si, conceptuellement et logiquement, il est nécessaire de mettre le secret du vote sur le même plan que celui de sa sécurité. Un débat sur cette question serait probablement nécessaire afin de déterminer le degré d’importance et d’intérêt de maintenir le secret du vote. Car, en effet, l’usage quotidien de la carte bancaire permet d’établir auprès de quel commerce un individu fait ses courses, voire quel type de produits il achète ou quel type de vêtements il porte, et ce fait ne paraît pas déranger outre mesure ; alors pourquoi le secret du vote devrait tenir tant à cœur ? L’interrogation demeure entièrement ouverte.