La RSE au cœur de la concurrence normative : pour une approche intégrée de ses sources

Résumé

L’article part du constat d’une concurrence normative entre la loi et les codes de gouvernance autour de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Au-delà de l’aspect éminemment politique de la question, il s’agit d’y voir l’occasion de mesurer les avantages et les inconvénients respectifs de la loi Pacte ou du Code Afep-Medef en tant que vecteur de concrétisation de la RSE. À l’examen, aucune de ces sources ne semble pleinement adaptée à ses spécificités. Plus encore, la concurrence normative autour de la RSE lui nuit plus qu’elle ne la sert, car elle contribue à brouiller la frontière de l’obligatoire et du volontaire, alors même que c’est le bénéfice réputationnel d’une démarche spontanée et non contrainte qui fait tout l’attrait de la RSE pour les entreprises. Ainsi, l’inopportunité de laisser proliférer des sources contradictoires nous conduit à préconiser des types de normes organisant l’articulation de l’obligatoire et du volontaire. En prenant l’exemple d’autres disciplines dans lesquelles, tout comme pour la RSE, le destinataire de la norme est le seul à pouvoir déterminer les modalités de respect de cette dernière, c’est la compliance (« conformité ») qui, en définitive, nous semble la plus adaptée pour réaliser l’intégration de la RSE en droit positif.

Index

Mots-clés

inflation normative, concurrence normative, effectivité, légitimité, responsabilité sociale des entreprises, RSE, compliance, conformité, codes de gouvernance, droit dur, droit souple

Plan

Texte

Introduction

La concurrence normative. Les principes de légistique que nous a laissés Montesquieu prennent une signification particulière à l’heure où le législateur n’a plus le monopole de la création de normes. Que valent encore les préceptes tels que ceux invitant à ne « toucher aux lois que d’une main tremblante » (Montesquieu, 1931, p. 286) , car « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » (Montesquieu, Casabianca, 2013, p. 189) ? Plus grand-chose sans doute, tant l’époque est à la tentation décrite en son temps par Constant1 (1806). La multiplication des normes2 tend à générer une véritable concurrence3 entre leurs divers auteurs. Régulièrement dénoncée, cette croissance exponentielle expliquerait que « loin de l’ordre juridique au sens traditionnel du terme, c’est le grand désordre » (Delmas-Marty, 2006) qui caractériserait l’état actuel – « post-moderne » (Thibierge 2003, p. 599) – des sources du droit. L’idée « d’inflation » (Savatier, 1977), par analogie avec les sciences économiques, traduit cette idée de dévaluation de la qualité de la norme par dilution.

Pour autant, il n’est pas certain que la multiplication des règles et, corrélativement, la diversification des entités créatrices de normes soit nécessairement néfaste, particulièrement dans le domaine économique. En effet, celle-ci pourrait aussi bien marquer, à l’inverse, l’adaptation du système juridique à la complexification croissante des phénomènes dont il est sommé de se saisir. Éventuellement nécessaire, elle pourrait même s’avérer souhaitable s’il était prouvé qu’elle mène à une plus grande effectivité.

Cette ambivalence gît tout entière dans l’étymologie même de la « concurrence ». Dérivée du latin concurrere, soit « courir avec », elle renvoie tant aux idées de convergence, voire de complémentarité, que d’opposition, de compétition. Dans le premier cas, la multiplication des sources peut être perçue comme bénéfique, en ce qu’elle permet d’infléchir les comportements en tirant le meilleur parti des spécificités de chacune d’elles. Dans le second, à l’inverse, elle apparaît comme nuisible, car elle peut tromper sur la valeur attribuée à ce comportement ou même placer le sujet de droit face à des injonctions contradictoires. Pour filer la métaphore économique, la présente étude revient, en somme, à se demander si la concurrence des normes est – comme celle des acteurs économiques – profitable ou, au contraire, à éviter.

Il ne s’agit pas ici de répondre à cette question de manière générale et abstraite, mais par le biais de l’étude du cas de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Largement soumise à cette concurrence, la RSE constitue assurément un exemple pertinent de concurrence normative. Un simple aperçu de ses principales sources suffit à appréhender l’ampleur du phénomène. Principes directeurs de l’OCDE4, lignes directrices de la CNUCED5, bonnes pratiques de l’OIT6, Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Charte sociale européenne, mais aussi « toute une série d’instruments de direction ou d’orientation à la terminologie très diverse (livrets, codes d’éthique ou de conduite, manuels, guides, chartes sociales…) et au statut incertain » (Mazuyer, 2009, p. 578), la diversité des sources de la RSE est édifiante.

Il ne saurait davantage être question d’envisager la concurrence normative dont la RSE fait l’objet à l’aune de l’ensemble de ses sources. Face à la complexité d’une telle entreprise, le champ de l’étude doit encore être précisé. Seuls deux instruments normatifs seront étudiés : la loi et les codes de gouvernance. De manière plus spécifique encore, seuls le Code Afep-Medef et la loi Pacte intéresseront l’étude, car leur concomitance constitue une illustration particulièrement significative de la concurrence normative dont la RSE fait l’objet. Compte tenu de ce choix, le diagnostic relève avant tout du droit des sociétés7.

La RSE se diffuse ainsi dans de nouveaux outils normatifs, ce qui témoigne de sa vivacité (Malecki, 2009), mais également d’un changement de perception des thématiques qu’elle recouvre. En s’extrayant de ses véhicules traditionnels8, elle s’éloigne du domaine de la morale9 pour se rapprocher de celui du droit10. Les implications environnementales et sociales des comportements individuels sont de moins en moins laissées à l’appréciation de chacun, mais font désormais l’objet d’une attention collective. Poussée tant par l’opinion publique que scientifique, la prise en compte des conséquences sociales et environnementales issues de l’activité économique semblait inévitable.

L’enjeu : la responsabilité sociale des entreprises. Si cette évolution témoigne assurément de l’attrait de la RSE (Hennebel, Lewkowicz 2007, p. 147), pour les pouvoirs publics comme pour les entreprises, il est permis de se demander si cette dernière ne risque pas d’être victime de son succès, tant son développement tous azimuts tend à lui octroyer « une surcharge de significations » (Mazuyer, 2009, p. 578). À notre première interrogation générale, il convient par conséquent d’en ajouter une seconde, plus spécifique, qui revient à se demander si la multiplication des sources de la RSE ne risque pas, finalement, d’en dévoyer le sens ? Si oui, quelle source faut-il privilégier pour mener le plus efficacement les entreprises à se saisir de leur responsabilité sociale ? Encore faut-il s’accorder, au préalable, sur le contenu de la notion.

Difficile, en effet, de percer à jour l’énigmatique nature de la RSE. L’acronyme lui-même semble varier selon les auteurs (Malecki, 2014, p. 26), au point qu’il est parfois permis de s’interroger sur l’unité du concept. Entre responsabilité sociale ou sociétale des entreprises, incluant ou non une référence à l’environnement, l’expression demeure polysémique (Lopez, 2017, p. 19), bien qu’elle ait vocation à constituer une sorte de « label11 ». À vouloir la définir par son contenu, on s’aperçoit que ni les objectifs de la RSE ni le cadre général dans lequel elle s’inscrit ne semblent clairement identifiés. Des droits de l’Homme à la lutte contre la corruption en passant par la protection de l’environnement, les normes internationales de travail, les achats responsables, la philanthropie d’entreprise ou encore la prévention des conduites addictives (France Stratégie/Plateforme RSE, 2019), la responsabilité sociale des entreprises se déploie dans de multiples directions et investit de nombreux champs.

Faute de pouvoir être saisie par ses composantes, la notion est généralement appréhendée par sa source. Si on définit la RSE comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales liées à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes12 », son assimilation par des vecteurs hétéronomes – tels que la loi ou les codes de gouvernance – relève nécessairement du paradoxe. Reste que le caractère volontaire de la RSE semble s’estomper (Mazuyer, 2018, p. 300, note n° 5), à tout le moins si l’on considère l’évolution de sa définition européenne. Depuis 2011, elle ne désigne plus nécessairement une pratique spontanée et volontaire, mais est plus sobrement définie comme « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société13 », sans que l’on puisse y voir pour autant un glissement du concept de responsabilité sociale des entreprises vers la « responsabilité » telle qu’entendue classiquement en droit.

Par essence, la RSE paraît vouée à demeurer en marge du droit, tant elle ne semble désigner que « les actions [des entreprises] qui vont au-delà des obligations juridiques qui leur incombent à l’égard de la société et de l’environnement » (Mazuyer, 2018). Si l’ambivalence de la notion empêche d’en discerner nettement les contours, elle en fait également un concept dynamique et adaptatif. De ce fait, la RSE n’est pas irrémédiablement assujettie à un type de source prédéfini. Elle est multidimensionnelle à plusieurs égards, non seulement quant aux domaines qu’elle embrasse, mais également sous l’angle des véhicules normatifs susceptibles de la concrétiser. Dès lors, l’introduction de la RSE dans le Code de gouvernance Afep-Medef ou dans la loi Pacte n’est pas critiquable a priori.

Les forces en présence : la loi Pacte. Adoptée le 22 mai 2019, la loi Pacte14 ambitionne notamment de « repenser la place des entreprises dans la société » par le biais de ses articles 169 et suivants, qui modifient les dispositions du Code civil et du Code de commerce. Parmi ces mesures, c’est la modification de l’article 1833 du Code civil qui retient particulièrement l’attention. Alors qu’à l’origine, il exigeait simplement que la société soit constituée dans l’intérêt commun des associés, la nouvelle version du texte comprend un nouvel alinéa qui dispose : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. » Si la consécration de la notion d’intérêt social marque l’entrée de solutions jurisprudentielles dans le Code civil15, l’intégration de problématiques relevant de la responsabilité sociale des entreprises constitue une réelle innovation (Desbarats, 2019 ; Chanal, 2018), traduisant la volonté du législateur de peser sur le processus décisionnel des sociétés. Le système est complété par des dispositions facultatives, telles que la possibilité de doter les sociétés d’une « raison d’être » statutaire ou encore de constituer des « sociétés à mission ».

Les forces en présence : le Code Afep-Medef. Parallèlement, la dernière version du Code Afep-Medef a introduit de nouvelles recommandations16 tendant à « promouvoir la création de valeur sur le long terme de l’entreprise en tenant compte notamment des dimensions sociales, sociétales et environnementales de ses activités17 ». Ce code de gouvernance est largement adopté au sein des grandes entreprises cotées françaises18, ce qui en fait un objet d’étude pertinent. En intégrant des dispositions relatives à la RSE, le code majoritairement en vigueur sur la place française rejoint aussi d’autres codes de gouvernance de par le monde, comme en Autriche, en Espagne ou au Brésil (Marain, 2016, p. 318). Reste que la plupart de ses homologues semblent maintenir une distinction franche entre la corporate governance (« gouvernance d’entreprise ») et la corporate social responsibility (« responsabilité sociale des entreprises »). Il s’agit d’ailleurs d’une volte-face, puisque certains auteurs considéraient, avant cette révision, que ce code figurait parmi les plus hermétiques aux considérations sociales et environnementales (De Cordt, 2008, p. 125).

En réalité, la concomitance de cette attraction de la responsabilité sociale des entreprises dans l’orbite de ce code de gouvernance n’est pas une simple coïncidence. Il s’agissait, à nouveau19, de prendre le législateur de vitesse (Bellan, 2018 ; Feuerstein, 2018), afin de le convaincre de la capacité d’autorégulation20 des entreprises (François, 2018a) et, par extension, de l’inutilité d’une telle réforme (Germain, 2018 ; Gendron, Turcotte, 2003 ; Harrison, 2001). La loi Pacte ayant – partiellement – franchi le seuil du Conseil constitutionnel (Cons. const.)21, force est de constater que cet objectif n’a pas été atteint. Il ne s’agit pas ici de déduire de cette démarche – qui semble faire consensus – un quelconque enseignement vis-à-vis de la légitimité ou de la pertinence de l’introduction de problématiques liées à la RSE au sein du Code Afep-Medef. La présente étude vise simplement à partir de ce constat pour poser la question de la complémentarité ou, au contraire, de l’opposition de ces nouvelles sources à l’aune des principes de la RSE.

Les configurations possibles de la concurrence normative. À supposer qu’il faille choisir, il faut encore dire d’emblée combien la réponse semble dépendre de la conception que l’on se fait de la RSE. Selon qu’elle est présentée comme un gisement d’amélioration des performances économiques des entreprises ou, à l’inverse, comme une contrainte supplémentaire obérant un peu plus leur potentiel de croissance, la préférence ira à l’autonomie des entreprises ou à l’intervention de l’État. Si intérêts publics et privés coïncident, alors il n’y a pas d’obstacle à ce que les codes de gouvernance réalisent l’intégration de la RSE dans la culture de l’entreprise. En revanche, dès lors qu’ils sont perçus comme antagonistes, la loi semble plus légitime, puisqu’il s’agit alors d’imposer un comportement conforme à l’intérêt général et, surtout, contraire aux intérêts particuliers des entreprises ou des dirigeants de ces dernières.

Y a-t-il nécessairement contradiction entre les intérêts particuliers d’une entreprise et ceux de la collectivité ? Selon les acteurs et les époques, la réponse varie. Pour certains, l’intégration de la RSE est nécessaire puisqu’elle serait bénéfique tant à l’entreprise qu’à son environnement économique, culturel ou naturel, le second étant la condition même de l’existence de la première. D’autres estiment qu’à l’inverse, les intérêts en cause sont divergents et, par conséquent, que ces considérations se feraient nécessairement au détriment des entreprises concernées. Créant un déséquilibre concurrentiel avec des entreprises moins soucieuses de ce type d’enjeux, l’équation aboutirait à un résultat comparable à l’absence de RSE, puisque les entreprises impliquées dans une telle démarche courraient un risque supplémentaire de disparition de ce fait même.

Si les intérêts divergent effectivement se pose encore la question de leur hiérarchisation. Du point de vue des entreprises, l’adoption – volontaire – de démarches sociales et environnementales révélerait l’intérêt immédiat et égoïste qu’elles y trouvent, notamment en termes de réputation. Dans cette dernière perspective, les préoccupations sociales et environnementales ne se concevraient pas en tant que finalités de l’activité économique mais, tout au contraire, comme les moyens de préserver la primauté de celle-ci. Le risque est grand, dès lors, que la logique s’inverse, que les problématiques de la responsabilité sociale des entreprises ne constituent plus un facteur de mutation de l’économie (Herbel, 2013), mais bien davantage le moyen de rendre acceptable, par compensation, ce qu’elle vise originellement à combattre.

Plusieurs hypothèses peuvent dès lors être envisagées : dans une logique concurrentielle (1), le choix pourrait se porter sur le droit dur comme sur le droit souple, chacune des solutions présentant des avantages et des inconvénients qui lui sont propres. Mais l’intégration de la responsabilité sociale des entreprises peut aussi être pensée sur un mode cumulatif (2), dans lequel ces modalités seraient alors complémentaires.

1. L’opposition des logiques

Critères d’évaluation possibles. Si hard et soft law ne sont pensées qu’en opposition l’une à l’autre, il faut alternativement envisager l’intégration de la responsabilité sociale des entreprises via la loi ou les codes de gouvernance pour, in fine, tâcher de déterminer ce qui constitue son meilleur vecteur d’intégration. À cette fin, il faut préalablement s’entendre sur les termes de la comparaison : s’agit-il de confronter la loi Pacte au Code Afep-Medef ou, plus largement, la loi aux codes de gouvernance considérés in abstracto ? Si ces deux niveaux de réflexion ne doivent pas être confondus, il ne nous semble pas impératif d’évincer l’un d’eux. Ils seront néanmoins traités distinctement, dès lors qu’ils sont chacun à même de fournir des éléments de réponse spécifiques. Au vu des caractéristiques de chacun des vecteurs, c’est d’abord sous l’angle de leurs prédispositions respectives que la question doit être posée. De prime abord, la voie législative peut sembler contre-intuitive, en ce qu’elle reviendrait à « contraindre une personne à s’imposer volontairement un comportement vertueux » (Berlioz, 2018). À l’opposé, une certaine communauté d’esprit semble unir la corporate governance et les problématiques liées à la responsabilité sociale des entreprises, en ce sens que le volontarisme est prégnant dans l’une comme dans l’autre. Au surplus, s’interroger sur le vecteur ayant le plus naturellement vocation à accueillir la responsabilité sociale des entreprises en son sein n’exclut pas de s’interroger, plus largement, sur l’opportunité d’un tel choix. À la question de la légitimité (1.1) s’ajoute donc celle de l’effectivité (1.2).

1.1. La légitimité des sources

Si c’est de manière abstraite que l’on considère les deux véhicules normatifs qui se proposent d’intégrer la RSE au cœur du fonctionnement des entreprises, alors la loi semble devoir être disqualifiée d’office, en ce qu’elle serait nécessairement contraire au caractère volontaire de la RSE. Pourtant, à étudier le système mis en place par la loi Pacte, on s’aperçoit que le vecteur légal offre, lui aussi22, un large éventail de textures normatives en laissant dans une certaine mesure le choix aux entreprises (1.1.1), ce qui lui permet de soutenir la comparaison avec les codes de gouvernance (1.1.2).

1.1.1. La loi

Légitimité de la loi23. Choisir la loi comme véhicule de la responsabilité sociale des entreprises semble en premier lieu relever d’une contradiction avec la définition même de ce concept24. Cet évident paradoxe (Deumier, 2013a, p. 1564) suscite de nombreuses interrogations. N’est-il pas quelque peu contradictoire d’utiliser la loi pour obliger les entreprises à dépasser le cadre qu’elle définit (Boucobza, Sérinet, 2017, p. 1622) ? La RSE s’accommode-t-elle de la contrainte ? Cette logique de civisme forcé contribuerait de fait à brouiller la frontière entre les domaines respectifs de l’obligatoire et du vertueux. En cela, le droit dur ôterait tout caractère incitatif aux préoccupations sociales et environnementales pour les entreprises. Si l’attente d’un effet bénéfique sur la réputation de ces dernières est un moteur essentiel de leur démarche, obliger les entreprises à l’adopter serait une grave erreur, car il n’y aurait rien de remarquable25 dans le fait de se conformer à la loi26. Ainsi, dans certains cas, l’intervention du législateur peut s’avérer contre-productive. Par exemple, en matière de représentation des salariés au sein du Conseil d’administration (CA), l’introduction de quotas légaux a eu un effet désincitatif dans certaines entreprises vertueuses, lesquelles ont ramené le niveau de participation de ces stakeholders (« parties prenantes ») au niveau des exigences légales27.

Reste que cette présentation des choses doit, dans le cadre de la loi Pacte, être relativisée, à tout le moins pour ce qui est des nouveaux articles 1835 du Code civil et L. 210-10 à L. 210-12 du Code de commerce, prévoyant respectivement la possibilité pour les sociétés de se doter d’une « raison d’être », ainsi que de devenir des « sociétés à mission ». Dans les deux cas, l’emploi du verbe « pouvoir » atteste du caractère facultatif de ces dispositions. Pour ce qui est de la raison d’être, il s’agit de doter la société de « principes […] pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de cette activité »28. Cette disposition apparaît conforme à la logique inhérente à la RSE, non seulement du fait de son caractère volontaire, mais également parce qu’elle a vocation à « apporter un contrepoids utile au critère financier de court terme » (Notat, Sénard, 2018, p. 4). En tant que disposition facultative, la raison d’être semble renouer avec le cœur de cible de la RSE, en ce qu’elle s’adresse prioritairement aux entreprises de taille conséquente ayant besoin de financements en provenance de fonds conditionnant leurs investissements à une démarche éthique.

En la matière, la loi fait même preuve d’une certaine supériorité sur les codes de gouvernance, puisqu’elle parvient à produire une norme dans laquelle l’engagement est tout à la fois volontaire et ferme. En effet, intégrer une raison d’être aux statuts d’une société ne saurait, pour une société, constituer une décision anodine. En premier lieu, d’un point de vue temporel, la difficulté à réunir une majorité suffisante pour modifier les statuts assure la pérennité de son engagement29. En second lieu, d’un point de vue matériel, comme toute disposition statutaire, la raison d’être doit être respectée par les organes de la société dans le cadre de sa gestion30. Si le législateur n’a pas pris la peine de préciser la nature de la sanction encourue en cas de violation de la raison d’être d’une société, une jurisprudence récente de la Cour de cassation laisse croire à une possible annulation de l’acte, ce qui devrait suffire à en faire tout autre chose qu’une disposition seulement symbolique31.

Pour ce qui est de la société à mission, là encore, l’institution correspond au cadre conceptuel de la RSE. Formellement, il s’agit à nouveau d’une transformation volontaire, qui présuppose d’ailleurs que la société se dote d’une raison d’être. L’article 176 de la loi Pacte introduit dans le Code de commerce trois articles32 relatifs à la société à mission, lesquels exigent notamment que les statuts précisent les modalités du suivi de l’exécution de la mission, ce qui nécessite notamment l’existence d’un comité de mission ad hoc, ainsi qu’une vérification par un organisme indépendant. C’est le ressort de l’image de marque qui sous-tend l’institution : à une déclaration au greffier du tribunal de commerce s’ajoute une logique de communication, la société pouvant apposer la mention « société à mission » sur tous ses actes, documents ou supports électroniques.

Ainsi, alors que, considérée dans l’abstrait, la loi semblait d’emblée disqualifiée pour réaliser l’intégration de problématiques sociales et environnementales dans l’activité économique des entreprises, le système mis en place par la loi Pacte laisse à ces dernières une liberté suffisante pour se conformer à l’esprit de la RSE. En revanche, le caractère général de la loi semble moins en adéquation avec celui-ci.

Généralité de la loi. De sa définition même, la loi est générale et abstraite (Dupeyroux, 1933). L’architecture du droit moderne veut que, dès lors que les conditions de la loi sont réunies, elle trouve à s’appliquer, sauf à ce qu’une loi spéciale ne vienne s’y substituer. Toute législation serait encore malvenue car, en matière de RSE comme de gouvernance, la loi s’appliquerait sans nuances à des entreprises présentant toutes des caractéristiques propres et ne pouvant donc être soumises à une règle uniforme (Arcot, Bruno, 2007). En l’espèce, la généralité de la loi est d’autant plus problématique que c’est par le biais du droit des sociétés que l’on se propose d’intégrer la responsabilité sociale des entreprises. Si la société est bien le « manteau juridique » de l’entreprise, la correspondance entre l’une et l’autre, pour fréquente qu’elle soit, est loin d’être systématique : une entreprise peut tout à fait être menée autrement que sous la forme sociétaire et, symétriquement, les sociétés ne déploient pas toutes une activité économique (Cozian, Viandier, Deboissy, 2017, p. 11). Le choix d’intégrer la responsabilité sociale des entreprises par le truchement de l’objet social conduit de fait naturellement à s’interroger sur les conséquences proprement juridiques susceptibles d’en résulter.

En plaçant l’objectif d’intégration des problématiques sociales et environnementales dans l’article 1833 du Code civil, soit au cœur du droit commun des sociétés, le législateur s’assure d’une large diffusion de la norme. Cette injonction s’adresse sans distinction à toute société, de la Société civile immobilière (SCI) familiale à la Société anonyme (SA) cotée, ce qui ne manque pas d’interroger : peut-on raisonnablement nourrir les mêmes espoirs d’un bout à l’autre de ce gigantesque spectre ? Dans son avis du 14 juin 2018, le Conseil d’État (CE) a d’ailleurs averti le législateur sur ce point, considérant qu’un tel degré de généralité « pourrait être de nature à pénaliser de petites structures, dotées d’une faible capacité d’expertise33 ». Le texte n’ayant pas subi de modifications sur ce point depuis lors, la base du système mis en place par la loi Pacte s’appuie sur un champ d’application ratione personae qui va bien au-delà, voire à rebours, des ambitions de l’Union européenne en matière de RSE.

En effet, la directive « responsabilité sociale des entreprises34 » ne vise que les grandes entreprises, lesquelles sont, de ce fait, considérées comme des « entités d’intérêt public35 ». On ne peut que déduire, en lisant le projet français à la lumière du droit de l’Union européenne, que le législateur entend dorénavant étendre ce rôle citoyen à l’immense majorité des acteurs économiques opérant dans son champ d’action. Est-il juste de faire peser sur l’ensemble des sociétés une charge supplémentaire lorsque celle-ci est la conséquence d’un dommage parfois présenté comme n’étant le fruit que de quelques-uns36 ? Il faut également, et surtout, s’interroger sur les moyens à la disposition des acteurs pour se conformer à une exigence légale37.

A contrario, le droit souple apparaît comme plus respectueux des spécificités des entreprises, qu’il s’agisse de prendre en considération leur capacité d’action ou leur impact sur l’environnement et les rapports sociaux. Pourtant, il faut bien distinguer, au sein de cette nébuleuse, les différents outils à la portée des entreprises. Parmi ceux-ci, les codes de gouvernance, édictés pour un ensemble d’acteurs, ne semblent pas constituer le vecteur le plus adéquat (1.2).

1.1.2. Les codes de gouvernance

Hétéronomie du Code Afep-Medef. Les codes de gouvernance ne souffrent pas du grief tiré de l’application indifférenciée de la loi à toutes les sociétés. En s’adressant prioritairement aux seules sociétés cotées, ils responsabilisent des acteurs dotés d’une capacité d’action proportionnelle à celle du devoir dont ils sont investis. Ainsi, cette restriction du champ d’application constitue moins un grief qu’un motif de satisfaction, en ce qu’elle semble ramener la norme à la proportion originelle de la responsabilité sociale des entreprises.

Outre cette question, c’est celle de la nature autonome ou hétéronome de la norme qui interpelle. En comparaison du vecteur légal, le Code de gouvernance Afep-Medef rapproche la source de l’obligation de son destinataire. En tant que syndicats patronaux, l’Afep et le Medef sont sans doute plus proches des intérêts des entreprises que ne l’est le législateur. Pour autant, la correspondance n’est pas parfaite, dès lors qu’auteur et destinataires de la norme doivent être distingués. On pourrait néanmoins douter de la pertinence de cette critique relative à l’hétéronomie des codes de gouvernance sur la base de deux arguments.

Le premier argument reviendrait à considérer que la représentativité des syndicats patronaux permet de dépasser l’objection. Dès lors que les intérêts du représenté se rapprochent suffisamment de ceux du représentant, l’hétéronomie de la norme ne serait plus que formelle. Autrement dit, bien qu’issue d’un tiers, la norme serait autonome en substance. Sans nier la portée de l’argument, il faut néanmoins observer que la représentativité constitue nécessairement « un titre d’autorité envers la profession » (Yannakourou, 1995, p. 109). En d’autres termes, si intérêts individuels et intérêt collectif convergent, ils ne coïncident pas nécessairement, ce qui mène à considérer qu’à rebours des codes de conduite édictés au sein de chaque entreprise, les codes de gouvernance ne constituent pas « les outils par excellence de la RSE » (Larouer, 2018, p. 23) .

Le second argument consisterait à faire remarquer que les entreprises adhèrent au Code de gouvernance Afep-Medef, ce qui les rapprocherait là encore d’une norme autonome. En effet, contrairement à ce qui a cours dans la plupart des autres États européens38, une entreprise française cotée n’est pas tenue de se référer à un code de gouvernance, conformément aux dispositions de l’article L. 22-10-10 du Code de commerce. Là encore, l’argument porte indéniablement : sitôt qu’il l’accepte expressément, le destinataire de la norme l’intériorise. Pour autant, la portée de l’argument doit être ramenée à sa juste proportion. Si l’on peut certainement considérer que la référence à un code de gouvernance représente nécessairement un « coût » témoignant de la volonté de l’entreprise de respecter les recommandations de ce dernier, il faut néanmoins rappeler qu’à l’inverse, l’absence de référence n’est pas « gratuite », car l’article précité prévoit qu’en pareille hypothèse, le rapport sur le gouvernement d’entreprise doit inclure une explication quant aux raisons de ce choix. Dans cette perspective, l’adhésion au Code Afep-Medef pourrait s’analyser comme une démarche plus conformiste que volontariste, en ce sens que les entreprises gagnent à ne pas s’écarter d’un comportement normalement attendu. Au surplus, il faut également remarquer que l’offre de codes de gouvernance est relativement limitée39, ce qui réduit d’autant la signification de l’adhésion.

Il faut en conclure qu’il existe une différence non négligeable entre un code de conduite propre à une entreprise et un code de gouvernance applicable à plusieurs sociétés. En effet, en matière de RSE, la souplesse n’est que la conséquence de l’autonomie de la norme, véritable trait distinctif de la notion. C’est parce que ce qu’a fait une volonté unique peut être défait par cette même volonté qu’une certaine souplesse existe en matière de codes de conduites ou de chartes éthiques. En ce sens, les codes de gouvernance ont beau être souples, ils ne correspondent pas tout à fait à l’esprit de la RSE, davantage caractérisé par l’autonomie de la norme que par sa souplesse (Roquilly, 2011 ; Desbarats, 2003). Alors que la RSE procède traditionnellement d’une démarche volontariste (Vallaeys, 2013, p. 161‑162), les codes de gouvernance relèvent de la notion voisine – mais non moins distincte – d’autorégulation. La différence gît dans le fait que « le volontarisme constitue un mécanisme particulier de régulation où ce sont des acteurs privés individuels qui s’engagent unilatéralement à respecter certaines règles », tandis que « dans le cas de l’autorégulation, des acteurs privés se constituent en une association qui régule le comportement de ses membres en fonction de certaines normes » (Hennebel, Lewkowicz, 2007, p. 153‑154).

De plus, la compatibilité du Code de gouvernance Afep-Medef et de la RSE est encore contestable sur le plan de l’élaboration de ces normes, en ce que celle-ci supposerait, a minima, que les stakeholders prennent part à sa conception, comme c’est le cas dans de nombreux pays européens (Lecourt, 2016). Censée être le « fruit d’un assemblage de recommandations et rapports menés sous l’égide du Medef » (Granier, 2016, p. 208), cette nouvelle mouture n’a, comme la précédente, été soumise à la consultation publique qu’a posteriori (François, 2018b). L’élaboration du Code relève ainsi exclusivement des associations professionnelles représentant les émetteurs, ce qui constitue une particularité controversée40 du système français (François, 2018a). Plus encore, l’idée même de créer un comité des parties prenantes dans les entreprises a été évincée (François, 2018a41). Sur ce point, ce code de gouvernance semble bien loin des recommandations de l’Union européenne en matière de corégulation sectorielle42, puisque celle-ci ne semble croire en l’efficacité de l’autorégulation et de la corégulation qu’à condition qu’elles soient « fondées sur une étude préliminaire publique des enjeux » et « effectuées avec le concours de toutes les parties prenantes concernées ». L’argument serait-il à nuancer, dans la mesure où les codes de conduite individuels souffrent du même grief (Mazuyer, 2009, p. 582) ? Nous ne le croyons pas, car les entreprises semblent en réalité privilégier la voie de la négociation collective transnationale, qui permet d’associer les parties prenantes à l’élaboration de la norme (Klahr, Bledniak 2019).

Enfin, il est regrettable que le Code Afep-Medef ne saisisse pas l’opportunité de définir plus précisément les objectifs assignés aux entreprises dans le cadre de leurs démarches RSE ou les moyens de les satisfaire, alors même que sa souplesse était propice à l’exercice. Il faut sur ce point distinguer l’effet normatif du Code et son contenu obligationnel (Ancel, 1999) : alors que le premier désigne la faculté de la norme à influer sur « l’orientation des comportements » ou à constituer « un modèle pour l’action et le jugement » (Deumier, 2013b, p. 252), le contenu obligationnel vise quant à lui la conduite à adopter, les obligations (ou les devoirs, voir Barsan, 2017) prescrits. Or, si l’on admet que l’effet normatif ne se résume pas à la contrainte (Gerry-Vernières, 2012, p. 146 et suiv.), on peut avancer que la souplesse des codes de gouvernance – qui s’analyse comme un effet normatif atténué – appelait à une définition plus précise des obligations mises à la charge des entreprises. En effet, les dispositions issues du Code Afep-Medef semblent, en définitive, aussi abstraites que celles issues de la loi. Pour ce qui est des objectifs, le conseil d’administration est simplement chargé de « promouvoir » les bonnes pratiques en la matière, ainsi que de proposer « toute évolution statutaire qu’il estime opportune43 ». Sur ce point, l’évolution du Code manque l’occasion de donner aux entreprises qui l’appliquent des lignes véritablement directrices. Pour ce qui est des moyens, la dernière version du Code Afep-Medef incite, par exemple, à une meilleure formation des administrateurs sur les enjeux sociaux et environnementaux relatifs à l’activité de l’entreprise44 ou à la prise en compte de critères « liés à la responsabilité sociale et environnementale » dans la détermination de la rémunération des dirigeants mandataires sociaux45. Au-delà, pourtant, ses dispositions sont de peu d’utilité pour déterminer les moyens concrets à mettre en œuvre pour satisfaire à son invitation. Lorsqu’elles ne sont pas – comme pour la mission du comité d’audit en matière de RSE46 – qu’une reprise de la loi, elles sont notoirement imprécises. Ainsi, bien que plus nombreuses, les recommandations du Code Afep-Medef n’en sont pas pour autant plus concrètes que celles visées par la loi.

Partant, la volonté affichée de permettre une meilleure intégration de la RSE apparaît, au mieux, comme un vœu pieux, au pire comme la composante d’une stratégie de lobbying. Pourquoi une telle frilosité, alors même que la souplesse de la règle semble autoriser davantage d’audace de la part des concepteurs de ce Code que du législateur ? L’impression d’un traitement cosmétique de la question se renforce : alors même que le principe comply or explain (« appliquer ou expliquer ») incite à une approche décomplexée de la norme, le Code Afep-Medef propose des lignes directrices qui ne désignent, en définitive, aucun cap. L’explication semble devoir être recherchée dans la finalité initiale du Code, qui n’avait pas, à l’origine, vocation à traiter de la question de la RSE.

Finalités du Code Afep-Medef. Si le plus important grief adressé au véhicule légal réside dans sa contradiction avec le caractère nécessairement volontaire de la responsabilité sociale des entreprises, alors le droit souple apparaît comme prédisposé à en devenir le vecteur privilégié. Pourtant, à l’examen, l’adéquation de ces deux logiques n’est pas parfaite, car la corporate governance et la responsabilité sociale des entreprises sont mues par des finalités qui leur sont propres47. En effet, le gouvernement d’entreprise est avant tout pensé dans l’intérêt des shareholders (« actionnaires »)48. L’objectif des codes de gouvernance d’entreprise est avant tout d’organiser une « rationalisation du fonctionnement des sociétés au service des actionnaires » (Granier, 2016, p. 207) . Il s’agit, depuis l’origine, de remettre le pouvoir actionnarial aux rênes de l’entreprise, face à une puissance managériale jugée trop encombrante (Behaja, 2019, p. 156). Dans cette optique, la transparence vise à réduire l’asymétrie d’information entre actionnaires et dirigeants, ce dont témoigne, précisément, la normalisation des rapports annuels des sociétés cotées via les codes de gouvernance.

Ainsi, les codes de gouvernance d’entreprise ne visent qu’à influer sur les rapports internes aux organes dirigeants de l’entreprise, et non sur l’impact que cette dernière peut avoir sur son environnement lato sensu. Certes, le Code Afep-Medef contient des dispositions qui, de prime abord, semblent dirigées davantage vers des considérations sociétales plutôt qu’économiques, mais il est difficile d’y voir la marque de la RSE. L’exigence de mise en œuvre d’une « politique de non-discrimination et de diversité notamment en matière de représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des instances dirigeantes49 » ou les recommandations relatives à la représentation des salariés dans celles-ci illustreraient cette idée. Néanmoins, il faut se garder de croire que la coïncidence des recommandations des codes de gouvernance et de certaines revendications sociales signifie nécessairement que leurs finalités convergent. À notre sens, et l’on ne peut que s’en réjouir, c’est moins la prise en compte d’intérêts extérieurs qu’une compréhension renouvelée de ce qui constitue l’intérêt propre de l’entreprise qui sous-tend l’inclusion de ces recommandations. La parité et la diversité sont, au même titre que l’indépendance, la déontologie ou la formation des administrateurs, perçues comme conditionnant l’efficacité d’un processus décisionnel collégial. Ces considérations témoignent d’une prise de conscience des risques liés à une certaine endogamie des conseils d’administration. L’exercice collégial perd nécessairement de son intérêt lorsque les acteurs de celui-ci sont, du fait de leurs affinités culturelles ou d’une communauté d’intérêt, plus susceptibles d’adopter les mêmes raisonnements et, en définitive, les mêmes décisions. L’ouverture du conseil d’administration est, dans cette perspective, une réponse opportune aux biais inhérents à la prise de décision collective, pensée dans l’intérêt de la société plutôt que dans celui des administrateurs. Ainsi, ces recommandations demeurent, malgré leur résonance avec d’autres intérêts, conformes au cadre conceptuel initial de la corporate governance (Godard, Schatt, 2005).

À l’inverse, la responsabilité sociale des entreprises incite à prendre en compte l’intérêt des stakeholders. Loin de chercher à préserver le pouvoir actionnarial, la RSE a vocation à élargir le périmètre des acteurs susceptibles de peser sur le processus décisionnel de l’entreprise. Salariés, fournisseurs, consommateurs, associations de défense de l’environnement, les parties prenantes sont toutes celles qui peuvent, d’une manière ou d’une autre, être affectées par les décisions de l’entreprise (Freeman, 1984) . Dans cette perspective, la philosophie des codes de gouvernance apparaît opposée à celle de la RSE (Barsan, 2017, p. 219). Il faut néanmoins convenir que l’argument est réversible, en ce sens que la philosophie initiale de la corporate governance se serait « acculturée » (Marain, 2016, p. 311) à la faveur de son arrivée sur le Vieux Continent. Reste que, d’une part, le contexte qui a favorisé la prise en compte de la RSE dans le Code Afep-Medef permet d’en douter et que, d’autre part, l’acculturation ne saurait avoir lieu en sens unique. À supposer qu’elle existe ici, toute synthèse implique des ajustements réciproques, ce qui signifie que l’intégration de la RSE dans le gouvernement d’entreprise engendre nécessairement, en retour, un infléchissement de celle-ci.

Par conséquent, il n’est pas certain que la finalité des codes de gouvernance soit conforme aux enjeux de la responsabilité sociale des entreprises. Si l’on comprend le besoin de souplesse en matière de gouvernement d’entreprise, on voit mal, en revanche, ce qui justifie un tel besoin en matière de respect des droits humains, de problématiques environnementales ou encore de lutte contre la corruption. C’est que la souplesse du Code Afep-Medef n’est pas exactement la même que celle de la RSE. Dans les codes de gouvernance, la souplesse est justifiée par l’inadéquation de certaines règles aux spécificités actionnariales, culturelles ou économiques de l’entreprise50. Si l’on comprend que des caractéristiques internes de l’entreprise puissent justifier le non-respect de certaines recommandations du Code Afep-Medef, la transposition de ce raisonnement à des problématiques externes est difficilement justifiable. Comment des facteurs tels que la structure actionnariale de l’entreprise ou le secteur d’activité dans lequel la société opère pourraient-ils justifier une atteinte à l’environnement ou aux droits fondamentaux ? Il y a, à notre sens, une confusion fondamentale entre des problématiques qui relèvent de domaines distincts et qu’il conviendrait de fait de traduire par des instruments qui le soient aussi. Sans cela, la lisibilité des codes de gouvernance comme de la RSE s’en trouverait affaiblie. De ce point de vue, ces codes seraient encore mal armés face aux enjeux de la RSE. Dès lors que le Marché peut dans certaines circonstances « acheter » la violation de préoccupations sociales et environnementales, ce déplacement de la sanction pourrait être préjudiciable à l’effectivité de ce vecteur (1.2).

1.2. L’effectivité des vecteurs

Mesure de l’effectivité. Selon qu’il s’agit de penser celle du droit dur ou du droit souple l’effectivité se conçoit différemment. Le premier n’admettant pas la transgression, c’est la proportion d’acteurs susceptibles de l’enfreindre qui constitue la mesure de son succès. La soft law, quant à elle, procède d’une logique différente. Dès lors qu’elle entend susciter l’adhésion plutôt que la crainte, son effectivité ne peut se mesurer, à l’inverse, qu’à l’aune de la proportion d’acteurs qui s’y rallient volontiers. De cette opposition des logiques naissent des faiblesses diverses, qui sont autant d’éléments à considérer dans la quête d’un vecteur adéquat. Dans cette perspective, les défauts inhérents à la norme que l’on impose (1.2.1) doivent être distingués de ceux accompagnant la règle que l’on expose (1.2.2).

1.2.1. L’effectivité de la loi

Obligatoriété de la loi. Archétype de la règle de droit, la loi se définit classiquement, et malgré de multiples exceptions, par ses caractères obligatoires, contraignant et sanctionnateur. Il s’agit donc de revenir ici sur ces aspects à l’aune de la loi Pacte. Il ne fait aucun doute que le législateur ait entendu imposer la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux. Compte tenu de sa formulation, la nature impérative des dispositions du second alinéa de l’article 1833 est acquise. Si une telle formule traduit un certain « dogmatisme » (Mestre, 2018), l’entrée de la RSE dans le droit des sociétés ne relève pourtant pas de l’autoritarisme, tant s’en faut. En effet, le caractère impératif de ces dispositions est immédiatement compensé par la faiblesse des obligations ainsi mises à la charge des entreprises, ce qui ne manque pas d’interroger sur l’intérêt même de légiférer. Si le système de la loi Pacte se décompose en plusieurs strates, dont la force obligatoire va decrescendo, il faut remarquer combien, même « au premier étage de la fusée51 », la prise en considération de la RSE semble peu contraignante. La rédaction de la loi conserve, par sa structure, une souplesse certaine, ce que ni la doctrine (Clerc, 2018) ni le Conseil d’État52 n’ont manqué de remarquer. En effet, il ne s’agit pas tant de définir de manière rigide les engagements de l’entreprise que d’imposer une réflexion sur ces enjeux. Les parlementaires ont vraisemblablement cherché à limiter au minimum les conséquences juridiques attachées à la modification de cet article53. Ainsi, la nouvelle rédaction de l’article 1833 du Code civil fait état d’une hiérarchie au sommet de laquelle on trouve encore l’intérêt des associés, suivi de l’intérêt de la personne morale, et enfin celui des parties prenantes. Cette idée de classement se matérialise par une gradation des sanctions. Tandis que l’intérêt commun des associés peut entraîner la nullité de la société54, la méconnaissance de l’intérêt de la société comme des parties prenantes ne peut aboutir à un tel résultat, pas plus d’ailleurs qu’à l’annulation d’un acte de gestion du dirigeant ou d’une délibération de l’assemblée générale. Seule demeure, en définitive, la possibilité d’une action en responsabilité civile délictuelle d’un tiers à l’encontre de la société (Desbarats, 2019), dans le même esprit et avec les mêmes difficultés que le devoir de vigilance (Périn, 2015)55.

Sur ce point, la volonté parlementaire de minimiser la portée de la RSE semble indiquer qu’il sera bien difficile aux requérants de caractériser la faute, tant sur le fond que sur le plan probatoire. Certes, il est difficile d’épuiser la question puisque, selon les intérêts en cause et la qualité des requérants, la nature de l’action varie. Les salariés et leurs représentants se placeront sur le terrain du droit du travail, agissant notamment à l’occasion des procédures d’information et de consultation ; les associations de défense des droits des consommateurs agiront sur le fondement des délits prévus par le droit de la consommation ; les associations de défense de l’environnement mobiliseront plus volontiers le droit pénal. La diversité des actions envisageables traduit, en termes processuels, l’hétérogénéité des droits visés par la RSE (Lopez, 2017, p. 77).

En définitive, la seule contrainte qui pèse sur la société consiste à se ménager des preuves de sa vertu. Pour les sociétés soumises aux obligations de reporting (« rapport ») extra-financier56, cette « obligation de penser » originelle, obligation de moyens57, donnera alors lieu à une certaine formalisation, obligation de résultat. Seulement, à s’en tenir là, la loi nouvelle n’apporte rien à une obligation introduite en droit français depuis la loi NRE de 200158, puisqu’elle fait double emploi. Comment fixer le seuil à partir duquel une société prend suffisamment en compte les problématiques sociales et environnementales pour satisfaire aux nouvelles exigences de la loi ? Rien n’est dit sur ce point, si bien que les entreprises devront elles-mêmes tenter de donner du sens à un texte qui, du fait de ses trop nombreuses virtualités, finit par ne plus en avoir. La volonté du législateur est un instrument d’interprétation classique : dans la mesure où il entend accorder le moins d’effet possible à cette assertion d’ordre symbolique, il faudrait alors présumer que la société est gérée en prenant en considération les préoccupations sociales et environnementales, et ce de manière plus ou moins irréfragable.

Il semblerait donc que le vecteur légal – tel que proposé – n’aboutisse pas tant à l’intégration satisfaisante de la RSE dans le processus décisionnel des sociétés, mais contienne, en germes, les moyens d’un renforcement du pouvoir actionnarial sur les dirigeants de manière plus effective encore que ne le font, pour l’heure, les codes de gouvernance des entreprises. En effet, c’est moins la société que son dirigeant qui, dans le système ainsi mis en place, semble devoir craindre la sanction. Bien que, dans la loi Pacte, le législateur s’adresse à la société, c’est en réalité sur le dirigeant que pèse l’obligation de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux. Certes, vis-à-vis des tiers, le dirigeant semble protégé, l’absence de considérations sociales et environnementales ne constituant assurément pas une faute détachable de ses fonctions, condition de l’engagement de sa responsabilité civile délictuelle personnelle par les tiers. Néanmoins, et pour peu que l’on puisse le prouver, le fait de ne pas se conformer à cette obligation devrait constituer, en tant que manquement à une obligation légale, un juste motif de révocation par les associés, tout comme une cause légitime de révocation judiciaire. La souplesse dont fait preuve la loi, si elle peut paraître surprenante de prime abord, laisse entrevoir le caractère symbolique de l’intégration de la RSE. Certes, sur ce point, le système porté par la loi Pacte semble conforme à l’esprit de la notion. Pour autant, on en vient à regretter que le vecteur légal soit privé de ce qui fait l’une de ses forces, d’autant plus qu’elle ne remédie en rien à ses faiblesses traditionnelles. Si la RSE s’est avant tout développée au sein d’instruments internationaux, c’est bien parce que les États, munis de lois limitées dans l’espace, ne pouvaient faire face individuellement à un phénomène global.

Territorialité de la loi. Dans un contexte de mondialisation, le degré de contrainte porté par la règle risque de s’avérer inversement proportionnel à sa mise en œuvre réelle. Le droit fiscal témoigne suffisamment de cette donnée pour que l’opportunité de la logique d’une intégration de la responsabilité sociale des entreprises reposant sur la hard law soit questionnée. Face à des problématiques qui ne se conçoivent qu’à l’échelle globale, l’inexorable territorialité de la loi semble reléguer la RSE au second plan des vecteurs envisageables : circonscrite dans les mêmes limites que la souveraineté dont elle émane, elle semble dépassée. La mondialisation, tant des acteurs que des enjeux, amenuise son pouvoir de contrainte.

Face à ce constat, il conviendrait de substituer une éthique interne à cette force extrinsèque : pour que la norme s’exporte, elle doit provenir du sujet lui-même. Reste que, même dans le cadre de la relativité de son pouvoir, le législateur a semble-t-il lui-même retenu sa main. En liant la RSE à l’objet social de la société, il circonscrit nécessairement son champ d’application territorial. Certes, toutes les sociétés de droit français devraient dorénavant se soucier du respect des droits humains mais, dans un contexte global, la portée d’une telle disposition semble des plus limitées. Impossible, en effet, de diffuser cette prise en considération des préoccupations sociales et environnementales le long de la chaîne de valeur : la rédaction de l’article ne semble pas faire obstacle à la sous-traitance, moyen privilégié de contournement des problématiques (Clerc, 2018) que la RSE vise précisément à endiguer. Ici, le cantonnement territorial de la loi semble lié à son faible niveau de contrainte précédemment évoqué. En effet, une législation plus ambitieuse aurait pu contraindre les sociétés françaises à insérer dans les contrats commerciaux conclus avec les sous-traitants et les fournisseurs les engagements pris en considération des enjeux sociaux et environnementaux, ce qui constitue un puissant levier de diffusion de ces derniers (Thibout, 2018, p. 44).

En liant ces problématiques à l’objet social de la société, le législateur invite à une appréciation individuelle de cette responsabilité nécessairement collective. Sauf à considérer que, pour une société donnée, prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux induise nécessairement de s’abstenir de traiter avec d’autres sociétés ne s’astreignant pas à la même discipline, ce qui semble peu probable compte tenu de la volonté de limiter les conséquences de la loi, la portée de la loi semble trop circonscrite d’un point de vue spatial. Le thème a cela de commode qu’il permet de concilier symbolisme et relativisme.

Il eût encore été possible, à l’image des lois Vigilance59 ou Sapin II60, de doter la loi d’effets extraterritoriaux, à condition toutefois de mettre à la charge des sociétés certaines obligations de compliance, méthode sur laquelle nous reviendrons ultérieurement. Si, quant à elle, la soft law ne souffre pas de ce grief, il est également permis, quoique pour d’autres raisons, de douter de son effectivité (1.2.2).

1.2.2. L’effectivité des codes de gouvernance

Déplacement de la sanction. Le droit souple, instrument traditionnel de la RSE, est ainsi désigné du fait de son absence de sanction, ce qui constitue la conséquence logique de l’autonomie de la norme. Parce qu’en principe61, émetteur et destinataire de la norme se confondent, il va de soi qu’en cas de violation d’un code de conduite ou d’une charte éthique, la sanction est inenvisageable. Or, il convient de rappeler que la logique des codes de gouvernance n’est pas totalement dénuée de sanction. Déjudiciarisée, celle-ci est en réalité transférée au Marché, lequel sanctionnera, en principe, la non-conformité aux recommandations ou l’insuffisance des justifications en cas de dérogation à ces dernières. Dans cette perspective, la voie des codes de gouvernance aurait l’avantage sur le vecteur légal en ce que, d’une part, elle laisserait les acteurs libres d’évaluer la politique d’une entreprise en matière de responsabilité sociale des entreprises et, d’autre part, éviterait dans le même temps à l’administration62 la charge d’un contrôle fastidieux et complexe. Reste que, pour être contraignant, le risque de sanction doit être réel. Certaines études permettent de douter de la réalité de cette sanction de marché, témoignant d’un renversement de la relation entre performance et gouvernance63. Selon celles-ci, le non-respect des recommandations serait sans impact sur les cours de Bourse d’une société, seules les performances financières dictant le comportement des investisseurs64.

Pour qu’un code de gouvernance contribue à l’effectivité de la RSE, il faut encore que le Marché soit mis en position de statuer, ce qui implique que le non-respect des engagements pris par la société fasse l’objet d’une publicité suffisante. Dans le système des codes de gouvernance, c’est par le biais des documents de référence que l’information a lieu. Pourtant, certaines recherches menées sur le sujet montrent que les entreprises, si elles suivent l’essentiel des recommandations contenues dans ces codes, tendent à ne pas divulguer les hypothèses dans lesquelles elles n’appliquent pas ces préconisations. La nature ambivalente du principe comply or explain (Deumier, 2013c, 2014) semble donc conduire les entreprises à adopter une stratégie essentiellement communicationnelle : promptes à afficher leur conformité, elles seraient plus rétives à communiquer sur les recommandations non suivies ou sur les raisons de cet écart, ce qui fausserait l’appréciation des investisseurs (Mazuyer, 2017b). Ramené à la RSE, le risque est grand que les codes de gouvernance souffrent du même grief, dès lors que l’enjeu est, en termes d’image, conséquent. Sur ce point, néanmoins, la critique peut tout aussi bien être adressée à la loi qu’aux codes de gouvernance, en ce que l’obligation de divulgation demeure assez largement théorique, faute d’une sanction propre à en assurer l’effectivité.

Le principe comply or explain, pivot des logiques. Bien que la loi l’exige expressément65, le fait de ne pas divulguer le non-respect d’une recommandation d’un code de gouvernance auquel, pourtant, une entreprise s’est volontairement affiliée ne connaît aucune sanction. Seule l’Autorité des marchés financiers (AMF) – et c’est là une exception française – a décidé de sécuriser l’obligation de divulgation des déviations en ayant recours à la technique du name and shame (« nommer pour faire honte »). Ainsi, les codes de gouvernance constitueraient sans doute de meilleurs vecteurs d’intégration de la RSE si la divulgation était garantie, faute de quoi le risque encouru quant à la réputation de l’entreprise demeure une pure fiction. Par conséquent, dès lors que la souplesse des codes de gouvernance repose sur le principe comply or explain, il serait opportun de se pencher plus avant sur sa nature juridique. Rien n’empêche d’y voir une véritable obligation de divulgation des atteintes aux principes contenus dans le Code de gouvernance Afep-Medef, sans que cela ne contrarie, pour autant, sa logique propre. Dans cette perspective, ce principe serait doté de plusieurs niveaux de juridicité, selon les prescriptions en cause. Aux deux extrémités du spectre, l’application des recommandations resterait l’affaire de l’entreprise, et l’appréciation des motifs de déviation, celle du Marché. Entre les deux, pourtant, interviendrait une troisième étape absolument nécessaire : l’obligation de reporting du comportement. En érigeant l’explication en véritable obligation contraignante, la suspicion qui entoure cette autorégulation s’en trouverait atténuée. Dès lors, l’intervention de la loi pourrait n’être qu’indirecte, en ce qu’elle ne ferait que s’assurer de la transparence des entreprises, par exemple en dotant l’obligation de fournir une explication d’une sanction plus dissuasive que le name and shame pratiqué par l’AMF. Ainsi, d’une manière générale, l’effectivité des codes de gouvernance ne semble pas pleinement satisfaisante et présente des faiblesses qui laissent douter de l’opportunité d’en faire le vecteur privilégié de la RSE.

Conclusion intermédiaire : la RSE à la croisée des chemins. La concurrence normative dont fait l’objet la RSE témoigne de l’urgence qu’il y a à infléchir les comportements égoïstes et les visions court-termistes des entreprises, tant dans leur intérêt propre que dans celui de l’ensemble des parties prenantes. Dès lors, il s’agissait moins de discuter de l’opportunité ou de la nécessité de l’intégration de la responsabilité sociale des entreprises que des moyens les mieux à même de la réaliser. Il reste pourtant bien difficile, compte tenu des avantages et des inconvénients respectifs des deux vecteurs discutés ici, de les départager. Sur le plan de la légitimité, le recours à la loi constitue une réelle contradiction avec la dimension volontariste de la RSE et risque, en conséquence, de la priver de l’un de ses principaux moteurs, à savoir les bénéfices d’image attendus de ce comportement véritablement vertueux. Pour autant, le Code Afep-Medef n’apparaît pas mieux armé pour réaliser cette intégration. Issue d’une logique de gouvernance, son ouverture à des problématiques externes à l’entreprise est sujette à caution en ce que, d’une part, elle comporte un risque de contradictions entre les objectifs du Code et, d’autre part, ne constitue pas réellement une norme issue des acteurs, mais d’un syndicat représentatif de ceux-ci. Sur le plan de l’effectivité, si l’avantage semble pouvoir cette fois être donné à la loi, aucune des deux voies proposées n’est pleinement convaincante. Tel que formulé, le projet de loi Pacte est à la fois trop vague et trop restreint, manquant de faire du vecteur légal l’instrument d’une véritable consécration juridique de la RSE66. De plus, la circonscription territoriale de la loi dénote avec le caractère global des acteurs et, surtout, des enjeux. Reste que la soft law souffre également de faiblesses intrinsèques. Si l’on veut bien croire à sa capacité d’orientation des comportements lorsqu’il s’agit de problématiques liées aux rapports internes de l’entreprise, on peine à croire qu’elle puisse réaliser l’intégration de considérations externes à ceux-ci. Dès lors que les difficultés d’application du principe comply or explain font apparaître que les écarts de conduite sont rarement mis en lumière, le risque est grand que la RSE soit le prétexte d’un affichage plus grand encore, qui ne porterait plus seulement sur la gouvernance de l’entreprise, mais également sur les thématiques de la RSE . Face à ce constat, la question du meilleur vecteur d’intégration de la responsabilité sociale des entreprises ne connaîtrait pas réellement de bonne réponse, au point qu’il convient de se demander si le salut de la RSE ne réside pas davantage dans la coexistence des vecteurs plutôt que dans les vecteurs eux-mêmes (2).

2. La coordination des logiques

Multiplicité des configurations possibles. Nous n’avons, jusqu’ici, tenté de répondre à la question du meilleur vecteur possible qu’en imaginant que l’un d’entre eux devrait, à terme, évincer l’autre. Face à leurs inaptitudes respectives, il nous a semblé préférable de ne pas trancher cette question. Mais que faire alors ? Une première réaction peut conduire à vouloir laisser les choses en l’état, à rejeter ces logiques dos à dos, et confier ainsi la charge de l’assimilation de la responsabilité sociale des entreprises à celles-ci, sous la pression des consommateurs. Pourtant, ce scénario semble invraisemblable. La RSE a déjà dépassé ses sources traditionnelles, et l’on voit mal le législateur, l’Afep ou le Medef défaire ce qu’ils viennent d’entreprendre. Il paraît donc nécessaire de penser les vecteurs de la RSE sur le mode de la pluralité, ce qui semble plus en adéquation avec l’histoire foisonnante du développement de la RSE. Se concevant par degrés, la coordination des logiques peut prendre plusieurs formes. Ne pas faire de choix, laisser coexister les vecteurs, peut constituer une première option, à condition toutefois de prévenir les effets négatifs de la concurrence normative (2.1). Au-delà, il faut également considérer la possibilité de choisir une troisième voie, mieux adaptée aux spécificités de la RSE : des outils normatifs adaptés, mêlant en leur sein normes souples et dures, constituent à notre sens la meilleure manière de donner à la RSE une consécration aussi éclatante qu’effective (2.2).

2.1. La coexistence des logiques

Opportunité de la concurrence normative. Dès lors que les vecteurs de la RSE ne sont plus conçus comme exclusifs l’un de l’autre, apparaît alors la question de leur rapport. Il s’agit donc de se demander si cette concurrence normative est bénéfique ou, au contraire, nuisible au développement de la RSE. A priori, cette concurrence a au moins l’avantage d’aboutir à une prolifération normative. En effet, cette « course à l’armement » entre les vecteurs contribue, malgré leurs faiblesses respectives, à faire de la RSE un enjeu majeur du droit des affaires. En lui donnant toujours plus de visibilité, elle incite non seulement les entreprises, mais également les consommateurs, à se soucier davantage des problématiques sociales et environnementales liées à leurs activités ou à leurs choix, selon le cas. Pourtant, la multiplication des vecteurs de la RSE peut également lui être plus nuisible que profitable, dès lors qu’elle contribue – comme toute inflation normative – à une dilution de son sens. Si l’on conçoit les interactions des vecteurs dans le temps, alors le phénomène de prolifération des normes trouve son fondement dans cette concurrence normative (2.1.1). Toutefois, si l’on ajoute à cette approche quantitative une analyse qualitative, cette profusion de normes s’avère, en dernière analyse, plutôt nuisible au progrès de la RSE, dès lors qu’il en résulte une certaine confusion (2.1.2).

2.1.1. Prolifération normative

Concurrence des acteurs et prolifération des normes. Les acteurs de la RSE se livrent à une forme de concurrence quant à l’élaboration des normes. Celle-ci se conçoit largement, tous azimuts, tant entre acteurs privés67 et publics68 qu’entre acteurs de la même catégorie. Ainsi, au sein du secteur privé, les normes relatives à la RSE proviennent aussi bien des entreprises elles-mêmes que des organismes de certification, des investisseurs institutionnels, des organisations non gouvernementales ou, plus proche de notre objet d’étude, des syndicats patronaux. Au sein du secteur public, on trouve, par exemple, des règles émanant d’organes internationaux ou issues de l’Union européenne et, comme le montre la loi Pacte, du législateur étatique. Soucieux d’afficher leur intérêt pour les problématiques de la RSE, tous s’en saisissent concurremment. Par conséquent, l’augmentation du nombre de producteurs de normes entraîne, mécaniquement, leur prolifération. Si un tel constat paraît faire sens, il implique néanmoins que l’on revienne sur l’effet d’endiguement de la concurrence normative qui constitue le postulat initial de cette contribution69.

Cette stratégie semble le plus souvent manquer son but. Certes, la perspective d’une régulation incite les entreprises à s’autoréguler : plutôt qu’une prise de conscience spontanée (Deumier, 2002) des acteurs économiques quant à la nécessité de structurer leurs pratiques, c’est bien davantage sous la pression d’une législation à venir que la prise de conscience intervient (Mazuyer, 2017a, p. 12). Pourtant, ces tentatives d’endiguement paraissent bien souvent se solder par un échec. À s’en tenir aux évolutions récentes, les lois Sapin II et Vigilance sont autant d’exemples de consolidation des règles issues de l’autorégulation. La première montre l’évolution de la notion de say on pay (« s’exprimer sur la rémunération ») en droit français. À l’époque où la norme relevait exclusivement du Code Afep-Medef, le vote des actionnaires, d’abord consultatif70, est devenu « impératif »71. Ensuite, à l’occasion de ce que l’on conviendra de nommer l’affaire Renault, le législateur s’est emparé de la question, intervention jugée « nécessaire à la poursuite de l’effectivité en matière de rationalisation de la rémunération des dirigeants » (Dumanoir, Koensgen, 2017). En l’espèce, les actionnaires de l’entreprise avaient refusé de valider la rémunération de l’ancien dirigeant du groupe72, mais le conseil d’administration est ensuite allé contre l’avis des actionnaires en approuvant celle-ci. Illustrant les difficultés inhérentes au caractère hétéronome des codes de gouvernance d’entreprise73, cet épisode a poussé le législateur à intervenir pour doter le say on pay d’un caractère contraignant. Quant à la loi Vigilance, elle est l’une des conséquences normatives74 de la retentissante affaire du Rana Plaza (Moreau, 2017).

À partir de ces exemples, on peut émettre l’hypothèse selon laquelle la construction d’un système de soft law n’a pas un effet univoque sur l’intervention législative. L’autorégulation semble, en effet, aussi susceptible de repousser que de précipiter cette dernière. Il ne s’agit pas ici de dire que la cause de ce phénomène résiderait dans le fait que, dans sa globalité, le recours aux vecteurs souples ne permettrait pas d’atteindre un degré d’effectivité suffisant. Il nous semble plutôt que l’émission de normes par des acteurs privés interpelle le législateur tout en préparant son action et qu’en cela l’autorégulation a des effets ambivalents. Dans le cas de la loi Vigilance, par exemple, on a pu remarquer que « la loi française nationale vient rendre contraignante la construction, déjà très élaborée dans de nombreux groupes, de la gestion des risques par la RSE » (Moreau, 2017). Dans cette perspective, l’hypothèse d’un droit souple conçu comme un rempart à une intervention législative apparaît comme résiduelle. Même une démarche suffisamment proactive, située largement en amont de l’intervention publique, ne semble pas à même de tenir la plume du législateur à distance. L’avènement d’une législation de l’émotion a cette conséquence qu’un fait médiatique peut suffire à ce que la loi vienne contrarier une autorégulation aussi spontanée qu’effective. Dès lors, l’attrait essentiel du droit souple semble davantage résider dans l’anticipation de l’action du législateur et ses corollaires, soit son retardement et/ou son orientation. Autrement dit, si l’autorégulation vise toujours à lutter contre la régulation, cette concurrence ne se conçoit pas seulement comme un obstacle absolu, ce cas de figure apparaissant au surplus comme relativement marginal. L’autorégulation semble bien plus à même de ralentir, d’orienter ou encore de minimiser l’action du législateur. Ainsi, la corrélation entre le nombre de producteurs de normes, la concurrence normative qui en résulte et la prolifération des normes peut être établie. Ce n’est là, toutefois, qu’un préalable à la question essentielle qui, compte tenu de notre objet d’étude, est de savoir si celle-ci est bénéfique à la diffusion des normes et des pratiques de la RSE.

Prolifération des normes et diffusion de la RSE. Débarrassée de ses prétendues vertus prophylactiques, cette concurrence entre producteurs de normes aboutit à la prolifération de ces dernières. Il s’agit ici de considérer ce phénomène dans ce qu’il a de bénéfique au regard de l’objectif de développement des démarches responsables. On peut en effet considérer que cette fuite en avant aboutit à un partage des rôles, dans lequel il incombe à la soft law de prospecter de nouveaux espaces dont le droit dur viendrait régulièrement consolider les acquis (Desbarats, 2019, p. 49), ce qui ne peut que participer à la diffusion de la RSE. L’interaction entre le droit dur et le droit souple, véritables espaces d’expérimentation et de prospection pour le législateur, serait, dans cette perspective, moins une opposition qu’un processus. Dans le cadre de la relation entre entreprises et législateur, il faut alors en comprendre le mécanisme, ce qui suppose de revenir sur ce qui incite chacun de ces acteurs à produire de la norme.

Pour ce qui est de l’entreprise, on peut s’interroger sur ce qui pousse des acteurs privés à contraindre leur action par des normes qui, ultimement, seront rattrapées par l’œuvre législative. À l’analyse, et même dans l’hypothèse d’une inéluctable intervention législative, les bénéfices d’une démarche RSE sont multiples. Premièrement, les entreprises tirent de cette avance certains avantages compétitifs75. Le premier argument est évidemment celui de leur réputation : se poser en pionnier de la RSE, même si les règles édictées ont vocation à se durcir, crée nécessairement un effet publicitaire bénéfique au chiffre d’affaires de l’entreprise. Mais il faut également considérer l’économie potentielle résultant de l’adoption d’une démarche RSE. Celle-ci permet une meilleure anticipation du risque juridique que peut représenter l’intervention du législateur ou du juge76. De plus, pour les entreprises opérant à une échelle globale, le droit souple permet de « dépasser la fragmentation de la régulation économique et la pluralité de réglementations étatiques » (Cafaggi, 2013, p. 135). Dans cette perspective, l’intégration de la RSE par le droit souple permet, au sein d’une même entité économique, d’unifier et donc de rationaliser les pratiques. De cette rationalisation naît alors un avantage économique77. En effet, dans l’hypothèse où le droit dur aurait inexorablement vocation à rattraper le droit souple, ce dernier constituerait un précieux outil de « conscientisation de la norme » (Deumier, 2013a, p. 1566), en ce qu’il laisse aux acteurs, du fait de sa souplesse, le temps de s’en emparer : en cas de reprise de la règle par le droit dur, l’effort d’adaptation des destinataires de la norme sera réduit. Enfin, le droit souple permet aux entreprises, en retour, d’orienter le sens de la loi à venir. Créer la norme, si souple soit-elle, devient alors un enjeu de pouvoir.

Pour ce qui est du législateur, non sans paradoxe, il y a un intérêt communicationnel certain à légiférer en matière de RSE, et plus encore à le faire selon la méthode retenue dans le cadre de la loi Pacte. En adressant aux entreprises l’injonction de « prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux » de leurs activités, tout en cherchant à réduire au minimum la portée normative de celle-ci, l’objectif semble clair. Il s’agit de « déclarer une belle intention un peu vide », faisant de la loi un « instrument politique » (Deumier, 2017, p. 34). Ainsi, le législateur est d’autant plus enclin à légiférer que les lois qu’il promulgue sont quasiment dépourvues de toute portée normative. Dans cette perspective, la concurrence des vecteurs semble des plus favorables à la RSE qui, en passant de l’un à l’autre, progresse continuellement (Frydman, 2007). Pourtant, cette fuite en avant peut s’avérer pernicieuse, puisque la multiplication de normes dont l’objet est similaire mais dont la nature et la structure sont dissemblables contribue à dégrader la qualité du système tout entier (2.1.2).

2.1.2. Confusion normative

Confusion normative et sécurité juridique78. En ce qu’elle constitue une condition de l’effectivité des normes, la sécurité juridique est nécessaire à la diffusion des pratiques de la RSE. Ni l’accessibilité des normes, dans le cadre d’un système basé sur le risque-réputation, ni leur prévisibilité, s’agissant d’un ensemble normatif voulu comme évolutif, ne posent de difficultés majeures en la matière. C’est bien davantage l’inintelligibilité de l’ensemble, renforcée par l’hétérogénéité de ses composantes, qui nuit à leur effectivité. La multiplication des acteurs et la diversification des normes qu’ils produisent participent autant à diffuser les normes de la RSE qu’à entretenir l’incertitude quant à la nature du système ainsi mis en place.

Faute d’acteur désigné pour la garantir, la cohérence de l’ensemble ne saurait, tant s’en faut, être érigée en caractéristique du modèle. Un tel schéma supposerait qu’une distribution des rôles se fonde, par exemple, sur une typologie des acteurs et des normes qu’ils édictent. Dans le cas de la RSE, on pourrait imaginer que cette répartition opère selon une logique descendante, dans laquelle la norme gagnerait en précision et/ou en contrainte à mesure que le champ d’action de son émetteur diminue. En l’absence d’une telle harmonisation79, l’attraction de la RSE dans la sphère des codes de gouvernance et de la loi contribue au moins autant à réduire la lisibilité du système qu’à en assurer l’effectivité.

Avec l’adoption de la loi Pacte, le législateur a étoffé la typologie des normes qu’il édicte en matière de RSE. Alors qu’il s’était contenté, dans le cadre de la loi NRE80, d’une régulation par l’information, le système de la loi Pacte s’appuie sur des techniques plus variées, reposant tant sur le volontarisme81 que la réglementation82 et l’information83. En effet, habitués à ce que la loi contraigne, on ne cesse de s’interroger, en doctrine, sur la dimension symbolique ou contraignante du système finalement mis en place. Si, formellement, les dispositions de l’article 1833 n’ont rien de facultatif84, elles semblent néanmoins dépourvues de tout caractère contraignant : à l’absence de sanction s’ajoute l’imprécision du libellé de la loi, ce qui ne manque pas de désarçonner le destinataire de la norme. C’est donc bien du droit souple que le législateur a produit là, ce qui n’implique pas nécessairement que les acteurs puissent s’écarter de la règle ou que celle-ci soit dépourvue de sanction. En l’occurrence, c’est de droit « flou » (Thibierge, 2003) dont il s’agit, la norme s’avérant trop imprécise pour être susceptible d’orienter les comportements individuels. Telle que la loi est formulée, il semble tout aussi difficile de suivre que d’enfreindre l’injonction faite aux entreprises de considérer les enjeux sociaux et environnementaux de leurs activités. De toutes les textures de la soft law, c’est sans doute ce droit flou qui engendre la plus grande insécurité juridique, puisque la nature de la norme ne permet pas d’anticiper la manière dont les différents acteurs, et notamment les juges, s’en saisiront.

Le même phénomène peut être observé en matière de codes de gouvernance, lesquels intègrent souvent des recommandations gravées par ailleurs dans le marbre de la loi. Il est permis de douter, avec un certain nombre d’auteurs (Le Tourneau, 2000, p. 70 ; Supiot, 2004, p. 541), de l’intérêt de cette répétition, dont la force normative est atténuée. À notre sens, les codes de gouvernance devraient s’abstenir de reprendre des exigences légales, et ce pour deux raisons. D’une part, la répétition peut tromper le destinataire de la norme, qui croira par hypothèse pouvoir s’en écarter alors que, figurant également dans la loi, elle est impérative. Le maintien de dispositions pourtant reprises par le législateur est assurément une source d’incertitude quant à la nature de la norme, puisque les acteurs seront tentés de croire qu’ils sont encore libres de s’y conformer ou de s’expliquer du fait de qu’ils s’en détournent, alors même que ce n’est plus le cas. De telles répétitions contribuent à une « densification normative » (Thibout, 2018, p. 34) qui nuit à la lisibilité du système tout entier et, par extension, à l’acceptabilité des normes, toutes origines confondues. D’autre part, la crédibilité du droit souple en pâtit plus particulièrement. En effet, lorsqu’un code de gouvernance reprend pour partie des exigences légales, on a tôt fait d’y voir alors « un discours creux à portée publicitaire » (Farjat, 1982, p. 65). Cela exposé, la difficulté de faire coexister les deux logiques apparaît. S’il semble que la fuite en avant des processus normatifs soit bénéfique à l’intégration des préoccupations sociales et environnementales, il n’en demeure pas moins que, matériellement, la coexistence des logiques aboutit à une insécurité juridique regrettable, tant pour les destinataires de ces normes que pour les valeurs dont elles sont porteuses.

Confusion normative et crédibilité de la RSE. Du fait de l’incertitude entourant ses sources, son contenu et sa finalité, la responsabilité sociale des entreprises semble vouée à osciller entre logiques marketing et juridique. À notre sens, les démarches volontaristes nécessitent un certain encadrement, faute de quoi le système actuel de la RSE semble vulnérable aux hypothèses de free riding85, obérant d’autant sa crédibilité. Dans cette perspective, l’encadrement par d’autres normes peut apporter un bénéfice certain aux acteurs finaux de la RSE, les entreprises et les consommateurs. Pour s’assurer de la nécessité de recourir à d’autres normes et asseoir ainsi la crédibilité du système, il faut encore exclure la possibilité de s’en remettre au juge pour assurer cette tâche. S’il semble en possession des outils nécessaires, attendre du juge qu’il assure un réel contrôle de l’effectivité du système est illusoire.

En tant que faits juridiques témoignant d’une volonté, les instruments de soft law peuvent acquérir une certaine force probatoire. Bien que les exemples jurisprudentiels se multiplient à travers le monde86, la position prise par la Cour de cassation dans l’affaire du naufrage de l’Erika mérite que l’on s’y attarde, en ce qu’elle permet de rendre compte de l’état du droit interne87. Dans ce litige, la Haute juridiction s’est fondée sur les dispositions d’un code éthique pour caractériser la faute de témérité de la société Total en retenant que « la défaillance de l’entreprise dans la mission de contrôle qu’elle s’est assignée peut relever d’une faute de négligence » (Blin-Franchomme, 2013). On peut donc observer que le juge n’est pas démuni, tant sur le plan civil que sur le plan pénal, face à une entreprise ne respectant pas la conduite qu’elle s’est elle-même fixée. Plus largement, il peut sanctionner une entreprise ne se conformant pas à son code de conduite, car un tel comportement peut constituer, conformément au droit européen88, une pratique commerciale déloyale susceptible d’engager la responsabilité civile de l’entreprise.

Pourtant, faire peser sur le juge la charge d’assurer l’effectivité de la RSE semble inenvisageable, et ce pour deux raisons. D’une part, et bien que la volonté de lutter contre les comportements frauduleux soit en elle-même louable, force est de constater qu’un tel usage du droit souple contribue à créer une certaine insécurité juridique qui risque fort de dissuader les entreprises de se doter d’une démarche RSE. Dès lors qu’une démarche marketing bénéfique se double de conséquences réellement contraignantes, la « gratuité » d’un code de conduite s’évanouit, au risque de remplacer le volontarisme par le scepticisme. Pour autant, l’argument est réversible, car il est également possible de soutenir qu’en créant un risque juridique, la jurisprudence dissuade les tentatives de free riding, renforçant corrélativement la confiance portée aux entreprises dotées d’une réelle démarche en matière de préoccupations sociales et environnementales. Reste que, pour être effectif, ce tri judiciaire présuppose un contentieux par ailleurs soumis aux règles de compétence juridictionnelle, alors même que la RSE apparaît comme une conséquence directe de la mondialisation et des possibilités de forum shopping (« élection de juridiction ») qu’elle entraîne. Dans ces conditions, l’efficacité d’un tel système ne peut qu’être relative. Il nous semble donc préférable, plutôt que de laisser coexister des normes qui, mis à part leur objectif, se révèlent profondément disparates dans leurs contenus et leurs sources, de privilégier une approche plus unifiée de la question de l’intégration de la RSE (2.2).

2.2. La convergence des logiques

Rationalisation. Il est possible, à notre sens, de mieux assurer l’effectivité des normes de la RSE, notamment en tentant d’ordonner – et non de nier – la spectaculaire diversité des normes qui la caractérise. À cette fin, il est utile d’adopter une approche « décloisonnée » (Daoud, Péronne, 2017) des outils normatifs disponibles, laquelle doit permettre de préserver l’essence volontariste de la RSE tout en la dotant d’un cadre légal assurant son effectivité. Mieux vaut, dans cette perspective, diviser le problème en plusieurs phases. En amont des pratiques des entreprises, il semble nécessaire d’avoir recours à l’univocité de la loi, tant pour définir le champ de RSE que les objectifs qui président à son effectivité (2.2.1). En aval des pratiques, il convient d’assurer le contrôle de l’effectivité de la RSE par des mécanismes adaptés à ce domaine (2.2.2). C’est, à notre sens, le recours à des mécanismes de compliance qui correspond le mieux à cet objectif.

2.2.1. En amont des pratiques

Fixer un cadre. La genèse de la RSE montre qu’elle est avant tout une conséquence de la mondialisation. C’est parce que celle-ci favorise les stratégies d’évitement du droit étatique, affaibli par sa nécessaire circonscription territoriale, que la préservation d’enjeux fondamentaux a dû être pensée sur un autre mode que celui de la contrainte. En cela, la compliance, en ce qu’elle procède d’une logique similaire, semble bien adaptée aux problématiques inédites que tente de saisir la RSE : la compliance serait ainsi « l’expression de la volonté des pouvoirs publics d’imposer des règles dont ils n’ont pas la force d’assurer l’effectivité » (Frison-Roche, 2016). Pour dépasser l’obstacle de la territorialité, la RSE comme la compliance cherchent à pallier le dépassement des pouvoirs publics en « internalis[ant] dans des opérateurs privés des buts monumentaux qui sont le souci d’institutions publiques extérieures » (Frison-Roche, 2018, p. 3).

Seule la méthode varie, puisque la RSE s’en remet à la volonté des acteurs, alors que la compliance repose sur une obligation légale. Reste que la responsabilité sociale des entreprises, comme nous l’avons vu, se départit d’un certain type de normes, volontaires, autonomes et non contraignantes. À notre sens, cette diversification laisse entrevoir une évolution de la notion vers un modèle partiellement obligatoire, voire sanctionnateur. La loi Pacte, malgré sa dimension essentiellement symbolique, en témoigne. Compliance et RSE semblent pouvoir être pensées dans un rapport de complémentarité, dans lequel la RSE constituerait la fin et la compliance, les moyens. En droit positif, le rapprochement des deux notions s’observe déjà. En effet, les lois Vigilance et Sapin II s’appuient sur cette technique, basée sur une répartition des rôles entre le législateur et les entreprises. Elle semble apte à accomplir les objectifs de la RSE sans pour autant la dénaturer trop nettement, car « plutôt que d’imposer exclusivement, par l’édiction d’une règle générale et impersonnelle, les nouvelles normes de comportement, […] la loi se contente de définir un cadre et des objectifs en laissant les acteurs libres de définir les moyens pour s’y conformer et y satisfaire » (Boucobza, Sérinet, 2017, p. 1621). En contrepartie de cette liberté dans la définition des moyens, l’entreprise doit mettre en place « la documentation et la justification régulière de la conformité aux normes dans différents domaines du droit, en particulier ceux qui sont soumis à une régulation spécifique ou à une surveillance de risques » (Augagneur, 2017). Si l’obligation y est bel et bien contraignante, si l’objectif vient encore d’en haut, les règles de conformité se démarquent de la règle de droit classique en ce qu’elles délèguent aux destinataires de la norme un certain nombre de prérogatives. Dès lors que cette méthode nouvelle a principalement vocation à prévenir le risque plutôt qu’à punir le manquement, elle laisse aux acteurs concernés la responsabilité de l’évaluer. Le spectre de la sanction se déplace alors pour saisir les processus mis en place par les destinataires de la norme pour les détecter, les prévenir et les gérer. Ce mouvement entraîne mécaniquement l’ouverture d’un second espace de liberté pour les acteurs économiques, qui demeurent libres de choisir les processus destinés à satisfaire l’objectif assigné par le législateur. La compliance désigne en ce sens une technique normative dont la singularité tient essentiellement à la combinaison et à l’organisation de règles de natures différentes.

À condition de ne pas se focaliser sur la matière mais sur la méthode, l’équilibre mis en place par le Règlement général sur la protection des données (RGPD)89 peut également être source d’inspiration, en ce qu’il constitue à notre sens un exemple plus abouti de coordination des différents vecteurs disponibles que les lois Sapin II et Vigilance. Les questions relatives aux champs d’application du texte – matériel, spatial et temporel – échoient au droit dur, qui définit donc le cadre dans lequel s’inscrivent les pratiques respectives des différents acteurs, ainsi que les objectifs qui leur sont assignés. Sur ce point, une profonde différence sépare le RGPD des lois Sapin II et Vigilance. En effet, alors que ces dernières ne sont applicables qu’à partir de certains seuils, le texte européen a une portée bien plus large, puisque son champ d’application le rend applicable à l’ensemble des traitements de données effectués sur le territoire de l’Union européenne ou se rapportant aux « personnes concernées qui se trouvent sur le territoire de l’Union90 ». S’agissant de l’opportunité de transposer l’une de ces logiques en matière de RSE, il semble difficile d’établir a priori le choix qu’il conviendrait de faire91. L’approche par les seuils peut toutefois être critiquée, non seulement parce que leur fixation relève nécessairement d’un certain arbitraire, mais encore parce que des acteurs de faible envergure peuvent, notamment en matière environnementale, avoir un impact conséquent sur les enjeux de la RSE.

Enfin, contrairement aux lois Sapin II et Vigilance, le RGPD procède à une véritable définition des termes qu’il emploie : les notions de données personnelles, de traitement et de responsable de traitement sont clairement établies. Ramenée à la RSE, cette méthode nécessiterait, dans la multiplicité des domaines qu’elle embrasse, une appréhension unifiée de ses problématiques. Si la tâche est complexe, elle nous semble néanmoins propice à donner une assise plus ferme à la notion. Là encore, au regard du nombre de définitions qui en sont données, il ne nous appartient pas d’en proposer une. Tout au plus peut-on faire remarquer qu’au lieu d’une inflation législative parcellaire, une telle approche permettrait l’harmonisation d’un domaine du droit dont le développement est jugé comme anarchique car dicté par l’émotion (Saint-Affrique, 2017) . Le cadre fixé, c’est aux entreprises que reviendrait ensuite, par l’intermédiaire de codes de conduite, la tâche de déterminer les moyens de remplir ces objectifs.

Institutionnaliser les pratiques. En effet, dans une logique de compliance, les acteurs demeurent libres d’établir les moyens par le biais desquels ils se conformeront au cadre légal92. Dans cette perspective, faut-il, à l’instar des lois Sapin II et Vigilance, imposer aux entreprises de se munir d’un code de conduite ? Si l’on en venait à retenir, pour déterminer le champ d’application d’un tel dispositif, une méthode de seuil, alors la réponse devrait nécessairement être positive. En revanche, en le dotant d’un périmètre élargi, une telle exigence serait assurément trop lourde pour nombre d’acteurs : on imagine mal un entrepreneur individuel se doter d’un tel instrument. Conformément au système du RGPD, la création d’un code de conduite devrait dépendre des résultats d’une cartographie préalable des risques. S’il ressort de celle-ci que l’activité de l’entreprise comporte des risques sociaux et environnementaux qui ne font pas déjà l’objet de réglementations étatiques là où l’activité se déploie, alors la définition des processus nécessaires à la prévention de ces risques devrait être rendue obligatoire.

Une fois ce diagnostic effectué, la souplesse est encore de mise au stade de l’adéquation des fins et des moyens : l’entreprise détermine elle-même les processus permettant de réduire au minimum les risques qu’elle a identifiés. L’institutionnalisation des pratiques nécessite la mise en place d’une privacy by design («  respect de la vie privée dès la conception ») qui veut que l’activité soit pensée pour éviter toute atteinte à la vie privée. Ramenée aux domaines de la RSE, une telle approche pourrait servir d’inspiration pour prévenir les atteintes aux droits humains. Le concept de compliance by design obligerait sans doute les multinationales à repenser leurs schémas de production, en imposant à leurs sous-traitants de respecter les codes de conduite qu’elle fixe. En effet, la compliance permet d’atteindre, par ricochet, des acteurs théoriquement hors de portée du champ d’action de la loi. En distinguant les responsables de traitement des sous-traitants, le RGPD rend l’entreprise de tête responsable non seulement de ses propres agissements, mais également de ceux de ses cocontractants. L’entreprise avec lequel traite le consommateur devient ainsi le relais de la contrainte étatique. Avec la compliance, la règle de droit prend une forme réticulaire (Ost, Van de Kerchove, 2010). Parce que ce schéma est identique à celui des circuits économiques, elle permet à la norme de suivre leurs activités, de la société mère aux filiales jusqu’aux sous-traitants.

L’inspiration peut aussi provenir, quant à l’organisation interne de l’entreprise cette fois, de l’obligation faite à certaines structures93 de désigner un délégué à la protection des données (DPO). En effet, l’institution d’un compliance officer n’est pas prévue par les lois Sapin II et Vigilance, alors même qu’elle constitue un point fort du RGPD. Le statut particulier attaché à la fonction de DPO94 lui assure l’indépendance nécessaire à tout audit du comportement de la société. Tout est fait pour limiter un conflit d’intérêts : l’appréciation du respect des engagements de l’entreprise est ainsi déconnectée au maximum de son intérêt. Imposé dans certaines entités, il s’agit d’un véritable compliance officer chargé spécifiquement des aspects liés au stockage et au traitement des données personnelles. De ce point de vue, la solution semble plus opportune que celle qui consiste, comme le propose le Code Afep-Medef, à confier cette tâche au conseil d’administration. De plus, transposé à la responsabilité sociale des entreprises, le système mis en place parvient à concilier l’asymétrie des notions d’entreprise et de société évoquée plus haut. Le Règlement prévoit la possibilité pour certaines structures complexes, tels les groupes d’entreprises, les autorités ou organismes publics, de ne nommer qu’un DPO, ce qui permet de mutualiser les coûts de compliance.

2.2.2. En aval des pratiques

Contrôler l’effectivité. Inscrire les objectifs de la RSE dans un instrument normatif basé sur la compliance suppose quelques ajustements de la notion d’effectivité. En effet, parce que cette logique repose sur des obligations de prévention de certains actes, elle nécessite d’établir une distinction entre la commission de ces actes et le respect des processus à la charge des entreprises. Ainsi, en sus de la nécessaire cartographie des risques et de l’élaboration d’un code de conduite ad hoc, les entreprises doivent de plus se plier aux exigences de la transparence. Pour l’heure, et de manière assez paradoxale, la seule communication relative aux démarches de RSE que la loi exige est adressée aux actionnaires. Vis-à-vis du consommateur, en revanche, les organisations sont libres de communiquer sur leurs bonnes pratiques ou, au contraire, de taire les mauvaises. À ce titre, il serait intéressant de s’inspirer du système de transparence mis en place par le RGPD95. Le règlement prévoit que l’autorité de contrôle doit être notifiée dans les meilleurs délais, mais aussi, et surtout, que les consommateurs doivent être prévenus lorsque la gravité de l’atteinte le nécessite. On retrouve par conséquent, avec plus de vigueur, le ressort réputationnel caractéristique de la RSE. Notons toutefois qu’il est possible pour l’entreprise d’échapper à cette obligation, à condition de mettre en place des mesures permettant de faire disparaître le risque d’atteinte à l’avenir.

Dès lors qu’elle s’inscrit dans le cadre d’un droit de la régulation, la compliance nécessite également, du côté de l’État, une autorité administrative indépendante comparable à l’Autorité des marchés financiers, la Commission nationale de l’informatique et des libertés ou l’Agence française anticorruption. Dès lors que la lutte contre la corruption est l’une des composantes de la RSE, il pourrait être envisagé de créer une autorité administrative ad hoc dont l’objet serait plus large. À condition toutefois de revenir sur le caractère exclusivement consultatif de ces attributions, il serait également envisageable de confier cette mission au Conseil économique, social ou environnemental. Là encore, il est possible de s’inspirer du RGPD, qui articule un niveau national de protection avec un niveau européen par l’entremise du Comité européen de la protection des données. Les missions des autorités de contrôle sont multiples : pour l’essentiel, elles doivent produire des lignes directrices permettant de rendre les objectifs généraux édictés par le droit dur aussi précis que possible et contrôler la bonne application des textes. En tant que régulateurs, elles disposent également d’un pouvoir de sanction. Dans le cadre de la RSE, il faudrait toutefois leur confier une mission supplémentaire, nécessaire au respect de la philosophie de la notion. Puisque l’image de marque y revêt une importance capitale, il faudrait non seulement qu’elles puissent dénoncer les mauvaises pratiques, mais également récompenser les bonnes. À ce titre, la loi Pacte prévoit, à moyen terme96, l’instauration d’une procédure de labellisation étatique, moyennant la création d’une « structure de revue et d’évaluation des labels de responsabilité sociale des entreprises permettant de valoriser des produits, des comportements ou des stratégies97 ».

Symétriquement, il conviendrait de mettre en place des procédures permettant de détecter les atteintes aux objectifs de la RSE. Pour ce faire, il serait sans doute opportun de créer un régime protecteur pour les lanceurs d’alerte. Dans la mesure où les atteintes aux droits humains sont difficiles à détecter, il est absolument nécessaire de faire remonter le maximum d’informations depuis le terrain et, surtout, de s’assurer que ces informations puissent sortir de l’entreprise. À ce titre, le système mis en place par la loi Sapin II pourrait être étendu, notamment en incluant dans son champ matériel les engagements pris par une entreprise au titre de sa démarche RSE.

Sanctionner la déviation. Enfin, la concrétisation par le biais de compliance ne se conçoit pas sans sanctions. À l’origine, la loi Vigilance prévoyait une sanction spécifique, pouvant aller jusqu’à 10 millions d’euros, en cas de manquement de l’entreprise à ses devoirs de compliance. Cette amende civile a cependant été annulée par le Conseil constitutionnel, au motif qu’elle contrevenait au principe de légalité des délits et des peines98. Ne reste donc, en cas de manquement au plan, que la responsabilité civile délictuelle de droit commun, dont les conditions devraient s’avérer particulièrement difficiles à réunir en la matière. En effet, le lien de causalité entre le fait, par exemple, de ne pas établir de plan de vigilance et le préjudice résultant du non-respect des droits humains par le sous-traitant étranger d’une entreprise française soumise aux dispositions de la loi Vigilance semble difficile à établir. Cela supposerait, en effet, de parvenir à prouver que l’adoption d’un tel plan aurait permis d’éviter la survenance du dommage, ce qui est plus qu’incertain. Dès lors que la compliance consiste précisément à imposer aux entreprises des obligations situées largement en amont du dommage effectif, elle entretient nécessairement un lien plus ténu avec celui-ci, ce dont il s’ensuit que les mécanismes de la responsabilité civile de droit commun ne lui conviennent pas.

La loi Sapin II, quant à elle, prévoit d’infliger une amende administrative d’un montant maximal de 200 000 euros pour les personnes physiques et d’un million d’euros pour les personnes morales. Pour sa part, le RGPD prévoit une sanction dont le plafond est fixé à 4 % du chiffre d’affaires annuel consolidé. Cette dernière méthode semble préférable, car en s’adaptant aux résultats économiques des entreprises, elle se fait plus dissuasive, ce qui n’est en définitive que la contrepartie de la souplesse ainsi accordée aux acteurs dans la détermination des processus mis en œuvre.

Conclusion

Classiquement, droit dur et droit souple s’articulent dans le temps, le second préfigurant, voire préparant l’arrivée du premier (Deumier, Khodri, 2017). Dans cette configuration, la souplesse des codes de gouvernance permet un changement progressif des comportements et laisse espérer une meilleure effectivité de la norme, basée sur son acceptation collective avant la coercition.

Pour autant, cette configuration harmonieuse ne doit pas masquer une utilisation plus « offensive » de la diversification des sources, suivant laquelle il n’est plus question de préparer, mais d’occuper le terrain normatif. Ce passage de la cohérence à la concurrence normative appelait une analyse des forces en présence. L’étude révèle que ni la loi ni les codes de gouvernance ne sont tout à fait adaptés à la philosophie de la RSE. En tant que démarche volontaire, celle-ci se réserve théoriquement à des sources autonomes. Certes, les codes de gouvernance ne remettent pas en cause sa traditionnelle souplesse, mais l’on ne saurait en déduire qu’ils ont vocation à en constituer un vecteur efficace. En effet, que vaut le principe comply or explain, pierre de touche des codes de gouvernance, en matière de respect des droits de l’Homme ou de lutte contre la corruption ? Aucune spécificité actionnariale, managériale, commerciale ou industrielle ne peut justifier le non-respect de ces objectifs, ce qui prive d’intérêt le recours à ces outils normatifs.

En définitive, cette concurrence normative semble relativement néfaste pour la RSE. En brouillant les frontières de l’obligatoire et du vertueux, elle risque d’en gripper l’un des principaux moteurs. Si les entreprises, les actionnaires ou les consommateurs ne parviennent plus à distinguer l’un de l’autre, il est probable que l’adoption d’une démarche volontaire par une entreprise n’ait pas le bénéfice réputationnel escompté, réduisant ainsi son intérêt.

À tout prendre, il semble préférable de cesser cette concurrence normative pour privilégier des instruments capables d’intégrer différentes textures normatives en leur sein. Dans cette perspective, la compliance semble la mieux adaptée aux spécificités de la RSE. Son articulation ne repose pas sur le principe comply or explain, mais sur un partage des rôles entre droit dur et droit souple. Bien que les finalités soient dictées par le législateur, la souplesse demeure en ce que l’entreprise est libre de déterminer les moyens par lesquels elle s’acquitte de ses obligations. Un tel type de norme serait, à notre sens, le meilleur vecteur de concrétisation de la responsabilité sociale des entreprises et permettrait, sans le dévoyer, de redonner toute sa vigueur à l’adage « tu patere legem quam fecisti99 ».

1 « La multiplicité des lois flatte dans les législateurs deux penchants naturels, le besoin d’agir et le plaisir de se croire nécessaires. »

2 Nous éviterons d’employer le terme de « corégulation », utilisé par certains auteurs, pour désigner ce phénomène de multiplication des normes ;

3 Sur cette notion, voir notamment Hachez et al. (2012).

4 Organisation de coopération et de développement économiques.

5 Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.

6 Organisation internationale du travail.

7 Mais certains se sont posé des questions similaires dans d’autres branches du droit, notamment en droit du travail. Voir notamment Dorssemont (2008

8 Il s’agit, pour l’essentiel, des chartes éthiques et des codes de conduite. Voir, sur ce point, Deumier (2017, n° 41 p. 42‑43 et n° 424 p. 366‑367)

9 Expression ici entendue comme une norme autonome, c’est-à-dire qui émane du sujet censé l’appliquer.

10 Expression ici entendue comme une norme hétéronome, extérieure au sujet censé l’appliquer.

11 C’est en tout cas la vision que semble en avoir le gouvernement, ainsi qu’en attestent les articles 171 et suivants de la loi Pacte, relatifs, par

12 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et Comité économique et social européen, Mise en œuvre du partenariat pour la

13 Communication de la Commission, Responsabilité sociale des entreprises…, précit.,

14 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

15 Cass. req., 16 novembre 1943, Morniche c/ Établissements Au Planteur de Caiffa, Recueil Sirey, 1947.1.1, note R. Houin ; JCP,1944.II.2251, note

16 Relatives au conseil d’administration (art. 1.1), à la formation des administrateurs (art. 12.1), au comité d’audit (art. 15.2) et à la

17 Article 1.1 de la dernière version (révision de juin 2018) du Code Afep-Medef.

18 Selon le dernier rapport du Haut Comité de gouvernement d’entreprise de novembre 2021, 103 des sociétés du SBF 120 (Société des bourses françaises

19 « Alors ou bien les professionnels se mettent d’accord sur des pratiques acceptables, ou bien nous réglerons le problème par la loi avant la fin

20 D’une manière générale, nous nous basons ici sur la typologie dressée par N. Gunningham et D. Sinclair (1999). Selon celle-ci, on peut distinguer

21 Cons. const., décision n° 2019-781 DC du 16 mai 2019, Loi relative à la croissance et la transformation des entreprises.

22 L’expression de « textures normatives », chère au Professeur Thibierge (2003), vise à montrer l’hétérogénéité du concept de norme à partir de l’

23 Quelle que soit sa consistance, questionner la légitimité du droit pourrait sembler tautologique, dans la mesure où la légitimité est précisément

24 Pour une tentative d’approche de la notion de responsabilité sociale des entreprises, voir supra, « L’enjeu : la responsabilité sociale des

25 Encore que c’est peut-être la marque de la post-modernité, en tant qu’elle se caractérise par un certain dépassement de l’État, de rendre « 

26 Pourtant, selon le Professeur F.-G. Trébulle (2003, no 20), 68 % des codes de conduite réaffirment la volonté des entreprises de respecter la loi

27 Voir notamment Mazuyer (2017b, p. 91) : « Il est possible de relever, dans le cadre de ces explications, un éventuel effet indésirable de l’

28 Code de commerce (C. com.), art. L. 210-10, I.

29 C. com., art. L. 225-96 (conditions de quorum et majorité qualifiée). Pour les autres sociétés, bien que la loi ne réserve pas de régime

30 Voir notamment, concernant la société anonyme (SA), les articles L. 225-35 et L. 225-64 du Code de commerce, qui imposent au conseil d’

31 Voir ainsi, Cass., 3e civ., 14 juin 2018, n° 16-28.672, Bull. civ., III, n° 64 ; Revue des sociétés, 2019, p. 42, note B. Lecourt ; RTD Civ., 2018

32 C. com., art. L. 210-10 à L. 210-12.

33 CE, Avis sur un projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, n° 394.599 et n° 395.021, 14 juin 2018, p. 37 : « […]

34 Directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’

35 Article premier de la directive 2014/95/UE, précit.

36 En matière environnementale par exemple, un rapport de l’organisation Carbon Disclosure Project affirme qu’une centaine d’entreprises seraient à

37 Un élément de réponse peut être trouvé dans l’adaptabilité de la norme conçue par le législateur dans le cadre de l’adoption de la loi Pacte. Sur

38 Au Royaume-Uni, pays de naissance des codes de gouvernance, il est obligatoire de se référer au UK Combined Code, descendant du Cadbury Report et

39 Le seul « concurrent » du Code Afep-Medef est le code MiddleNext, encore que celui-ci ne vise pas exactement le même type d’entreprise puisqu’il

40 Voir notamment, Boisseau, 2018 : « Les investisseurs attendaient beaucoup de cette révision du code de gouvernance. “Nous aurions aimé qu’enfin le

41 « Par surcroît, l’Afep et le Medef n’ont pas souhaité, contrairement au rapport Notat-Senard, instaurer un comité des parties prenantes. Ils

42 Communication de la Commission, Responsabilité sociale des entreprises…, précit., point 4.3.

43 Code Afep-Medef, art. 1.1, second alinéa.

44 Ibid., art. 12.1.

45 Ibid., art. 24.1.1, troisième alinéa.

46 Ibid., art. 15.2.

47 Ainsi, les Anglo-Saxons distinguent la corporate governance de la corporate social responsibility.

48 L’un des actes fondateurs du mouvement de la shareholder primacy est sans doute la publication, en 1994, de l’ouvrage de l’American Law Institute.

49 Article 1.7 du Code Afep-Medef, relayé, en matière de composition du conseil d’administration et des différents comités, par l’article 6.2 et, en

50 On admettra que l’essentiel de la rémunération d’un dirigeant soit fixe, au motif qu’il est par ailleurs un important actionnaire de la société

51 Expression reprise de R. Lescure, rapporteur général, Assemblée nationale, Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la

52 CE, Avis sur un projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, précit., n° 102, p. 39 : « La mise en œuvre de cette

53 Les atermoiements autour de sa rédaction en témoignent. Les débats ont porté sur les liens entre deux notions – l’intérêt social et la RSE –

54 Le nouvel article 1844-10 du Code civil dispose : « La nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions des articles 

55 Remarquons toutefois que la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’

56 C. com., L. 225-102-1. Voir notamment Mourre (2018) ; Malecki (2017) ; Emeriau, Anaya (2017) ; Alexandre (2018).

57 « En ce qui concerne l’ajout […] du principe d’une “prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux” de l’activité d’une société

58 Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques.

59 Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

60 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

61 Lorsque ce n’est pas le cas, notamment pour les acteurs soumis de facto aux politiques d’approvisionnement de leurs clients, il existe néanmoins

62 Qu’il s’agisse d’organes relevant de l’autorité de l’État ou d’autorités administratives indépendantes.

63 Voir notamment Berthillon (2017).

64 Voir ainsi, MacNeil et Li (2006), qui démontrent que la tolérance des investisseurs face à l’absence de conformité est liée, dans une certaine

65 L’article L. 225-37-4, 8° du Code de commerce dispose : « Lorsqu’une société se réfère volontairement à un code de gouvernement d’entreprise

66 Voir, en ce sens, Malecki (2014, p. 14) : « La science juridique pourra apporter la confiance, la rationalité et, surtout, des outils permettant d

67 Pour une description de ces multiples interactions concurrentielles, voir notamment Hennebel et Lewkowicz (2007, p. 147‑225, spéc. p. 173).

68 Par exemple, des rôles respectifs des autorités administratives indépendantes et de l’État en la matière.

69 Voir supra, Introduction.

70 Voir ainsi l’ancien article 24.3 de la version de juin 2013 du Code Afep-Medef.

71 Lors de la révision du Code de novembre 2016, article 26.2 (les guillemets matérialisent la difficulté qu’il y a à concevoir une disposition

72 En mai 2016, les actionnaires s’étaient prononcés à 54,12 % contre la rémunération de Carlos Ghosn, mais le conseil d’administration, réuni en l’

73 Voir supra, « Hétéronomie du Code Afep-Medef ».

74 Cet événement tragique a également donné lieu à un certain nombre d’accords à l’échelle internationale relatifs aux conditions de travail au

75 Il ne s’agit pas ici d’en faire un exposé exhaustif, tant ces avantages peuvent prendre des formes multiples. Pour un exemple de réduction de

76 Voir infra, « Confusion normative et crédibilité de la RSE ».

77 D’autant plus appréciable d’un point de vue plus général qu’il aboutit à une harmonisation « par le haut ».

78 Selon la classification de R. Lanneau (2013), c’est de « sécurité juridique matérielle » dont il s’agit, par opposition aux sens de l’expression

79 Ici entendue comme l’organisation rationnelle des différents vecteurs de la RSE.

80 Désormais codifiées à l’article L. 225-102-1 du Code de commerce.

81 Ainsi de la possibilité de se doter d’une raison d’être et de la société à mission (art. 1835 du Code civil).

82 Ainsi de la modification de l’article 1833 du Code civil.

83 Ainsi de la mise en place de labels étatiques.

84 Voir supra, « Obligatoriété de la loi ».

85 L’expression est ici entendue dans son sens classique de « passager clandestin » et vise à désigner les hypothèses dans lesquelles une entreprise

86 Voir notamment US Supreme Court, Nike Inc. v. Kasky, 26 juin 2003, 02-575, 539 US 654.

87 Cass. crim., 25 septembre 2012, Erika, n° 10-82.938, Bull. crim., n° 198 ; Recueil Dalloz, 2012, p. 2673, obs. L. Neyret ; ibid., p. 2675, note V.

88 Directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis

89 Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du

90 RDPG, articles 2 et 3.

91 En effet, celui-ci dépend essentiellement de l’idée que l’on se fait des problématiques qu’elle englobe. Si l’on considère que seuls les acteurs d

92 RDPG, article 28 : « Le responsable du traitement met en œuvre des mesures techniques et organisationnelles appropriées pour s’assurer et être en

93 Le RGPD impose la nomination d’un data protection officer lorsque l’entreprise en cause, quelle que soit sa taille, poursuit pour l’essentiel des

94 RDPG, article 38, 3° : « Le responsable du traitement et le sous-traitant veillent à ce que le délégué à la protection des données ne reçoive

95 RGPD, articles 4.12, 33 et 34, considérants 85 à 88 ; Groupe de travail, article 29 sur la protection des données, Lignes directrices sur la

96 L’article 174 de la loi Pacte prévoit, dans l’année de l’entrée en vigueur de la loi, la remise d’un rapport relatif à la création d’une politique

97 Loi Pacte, art. 176.

98 Cons. const., décision n° 2017-750 DC du 23 mars 2017, Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre

99 « Subis les conséquences de ta propre loi. »

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Notes

1 « La multiplicité des lois flatte dans les législateurs deux penchants naturels, le besoin d’agir et le plaisir de se croire nécessaires. »

2 Nous éviterons d’employer le terme de « corégulation », utilisé par certains auteurs, pour désigner ce phénomène de multiplication des normes ; voir, par exemple : « Nous mettrons en évidence une virtualité inscrite dans l’interaction entre différentes pratiques et différents instruments qui accompagnent cette dynamique : la virtualité de faire système et de donner naissance à un système de corégulation en matière de responsabilité sociale des entreprises » (Hennebel, Lewkowicz, 2007). En effet, l’ambiguïté du terme (Lyon-Caen, 2007) nous conduit à privilégier l’usage de cette notion dans le sens que lui donne l’Union européenne (Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014, COM[2011] 681 final, 25 octobre 2011), c’est-à-dire lorsqu’il désigne un phénomène de co-conception de la règle. En revanche, il ne s’agit évidemment pas de dire que la définition retenue doit, dans l’absolu, être privilégiée, mais simplement de préciser les termes utilisés dans le cadre de la présente contribution. Notons d’ailleurs que la distinction entre ces deux sens de l’expression n’est pas toujours étanche, certains cas montrant qu’ils peuvent se mêler (Deumier, 2020).

3 Sur cette notion, voir notamment Hachez et al. (2012).

4 Organisation de coopération et de développement économiques.

5 Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.

6 Organisation internationale du travail.

7 Mais certains se sont posé des questions similaires dans d’autres branches du droit, notamment en droit du travail. Voir notamment Dorssemont (2008).

8 Il s’agit, pour l’essentiel, des chartes éthiques et des codes de conduite. Voir, sur ce point, Deumier (2017, n° 41 p. 42‑43 et n° 424 p. 366‑367).

9 Expression ici entendue comme une norme autonome, c’est-à-dire qui émane du sujet censé l’appliquer.

10 Expression ici entendue comme une norme hétéronome, extérieure au sujet censé l’appliquer.

11 C’est en tout cas la vision que semble en avoir le gouvernement, ainsi qu’en attestent les articles 171 et suivants de la loi Pacte, relatifs, par exemple, aux politiques d’accessibilité des personnes handicapées (171), environnementales (172) ou encore de commerce équitable (173).

12 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et Comité économique et social européen, Mise en œuvre du partenariat pour la croissance et l’emploi : faire de l’Europe un pôle d’excellence en matière de responsabilité sociale des entreprises, COM(2006) 136 final, 22 mars 2006.

13 Communication de la Commission, Responsabilité sociale des entreprises…, précit.,

14 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

15 Cass. req., 16 novembre 1943, Morniche c/ Établissements Au Planteur de Caiffa, Recueil Sirey, 1947.1.1, note R. Houin ; JCP, 1944.II.2251, note Lescot ; Gaz. Pal., 1944. 1.14 ; Cass. com., 6 février 1957, Bascou et autres c/ Tripier, JCP, 1957.11.10325, note D. Bastian ; Cass. com., 18 avril 1961, GAJC, 1962, p. 225.

16 Relatives au conseil d’administration (art. 1.1), à la formation des administrateurs (art. 12.1), au comité d’audit (art. 15.2) et à la rémunération des dirigeants mandataires sociaux (art. 24.1.1).

17 Article 1.1 de la dernière version (révision de juin 2018) du Code Afep-Medef.

18 Selon le dernier rapport du Haut Comité de gouvernement d’entreprise de novembre 2021, 103 des sociétés du SBF 120 (Société des bourses françaises) l’appliquent.

19 « Alors ou bien les professionnels se mettent d’accord sur des pratiques acceptables, ou bien nous réglerons le problème par la loi avant la fin de l’année » (Le Monde, 2008).

20 D’une manière générale, nous nous basons ici sur la typologie dressée par N. Gunningham et D. Sinclair (1999). Selon celle-ci, on peut distinguer cinq mécanismes de régulation, dont l’autorégulation, qui peut être définie comme le processus par lequel un groupe organisé régule le comportement de ses membres (p. 54). En cela, l’autorégulation doit être distinguée du volontarisme, cas dans lequel un acteur économique décide seul d’entreprendre de faire ce qu’il estime juste (voir infra, « Hétéronomie du Code Afep-Medef »).

21 Cons. const., décision n° 2019-781 DC du 16 mai 2019, Loi relative à la croissance et la transformation des entreprises.

22 L’expression de « textures normatives », chère au Professeur Thibierge (2003), vise à montrer l’hétérogénéité du concept de norme à partir de l’exemple du droit souple, qui se décline à son tour en plusieurs facettes : « droit flou (sans précision), droit doux (sans obligation) et droit mou (sans sanction) ». Il nous semble que le système mis en place par la loi Pacte, notamment en laissant une importante marge de manœuvre aux entreprises, remet également en cause une vision monolithique de la norme, mais à l’égard de la loi, qui fondait pourtant une telle conception.

23 Quelle que soit sa consistance, questionner la légitimité du droit pourrait sembler tautologique, dans la mesure où la légitimité est précisément définie comme la conformité au droit. Pourtant, si l’on replace la question dans le contexte d’une concurrence normative, l’interrogation prend tout son sens.

24 Pour une tentative d’approche de la notion de responsabilité sociale des entreprises, voir supra, « L’enjeu : la responsabilité sociale des entreprises ».

25 Encore que c’est peut-être la marque de la post-modernité, en tant qu’elle se caractérise par un certain dépassement de l’État, de rendre « volontaire » et donc « remarquable » l’application de la loi, dans la mesure où le law shopping des acteurs mondialisés illustre, notamment en matière fiscale, la diversité des choix possibles.

26 Pourtant, selon le Professeur F.-G. Trébulle (2003, no 20), 68 % des codes de conduite réaffirment la volonté des entreprises de respecter la loi, ce qui témoigne d’un certain renversement.

27 Voir notamment Mazuyer (2017b, p. 91) : « Il est possible de relever, dans le cadre de ces explications, un éventuel effet indésirable de l’introduction d’exigences légales en la matière, qui aboutit parfois à la diminution du nombre de représentants des salariés participant au CA : certaines sociétés ouvraient leur CA à des représentants des salariés avec voix consultatives plus nombreux que depuis qu’ils participent comme administrateurs. Ainsi, Danone explique que, avant la loi de 2014, quatre membres du CE assistaient au CA avec voix consultative et que, avec la loi de 2014, deux administrateurs salariés ont été nommés, un autre salarié assistant au CA avec voix consultative. Total explique que, avant la loi, quatre membres du CE participaient avec voix consultative ; depuis la loi, un seul, en tant qu’administrateur. »

28 Code de commerce (C. com.), art. L. 210-10, I.

29 C. com., art. L. 225-96 (conditions de quorum et majorité qualifiée). Pour les autres sociétés, bien que la loi ne réserve pas de régime particulier aux décisions ayant pour objet de modifier les statuts, il est fréquent d’y ajouter, dès leur rédaction, une majorité qualifiée pour les décisions à prendre en assemblée générale extraordinaire, dont notamment la modification des statuts.

30 Voir notamment, concernant la société anonyme (SA), les articles L. 225-35 et L. 225-64 du Code de commerce, qui imposent au conseil d’administration et au directoire de prendre en considération la raison d’être.

31 Voir ainsi, Cass., 3e civ., 14 juin 2018, n° 16-28.672, Bull. civ., III, n° 64 ; Revue des sociétés, 2019, p. 42, note B. Lecourt ; RTD Civ., 2018, p. 892, obs. H. Barbier ; RTD Com., 2018, p. 701, obs. B. Lecourt ; ibid., p. 982, obs. H. Monsèrié-Bon, admettant que les tiers puissent se prévaloir des statuts du groupement pour invoquer le dépassement de pouvoir commis par le gérant d’un Groupement foncier agricole (GFA). Voir en ce sens, Desbarats (2019, p. 47) : « Si l’on admet que l’introduction, dans les statuts, d’une “raison d’être” peut s’analyser comme une limitation statutaire, il devrait en résulter qu’en cas de violation de celle-ci, les tiers/parties prenantes puissent requérir l’annulation de l’acte litigieux. »

32 C. com., art. L. 210-10 à L. 210-12.

33 CE, Avis sur un projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, n° 394.599 et n° 395.021, 14 juin 2018, p. 37 : « […] alors que les grandes entreprises sont plus à même d’affronter les risques de conformité notamment en matière environnementale ».

34 Directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d'informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes.

35 Article premier de la directive 2014/95/UE, précit.

36 En matière environnementale par exemple, un rapport de l’organisation Carbon Disclosure Project affirme qu’une centaine d’entreprises seraient à elles seules responsables de 71 % des émissions globales de gaz à effet de serre, ce qui permet de mettre en doute le bien-fondé de l’obligation ainsi faite à l’ensemble des acteurs économiques de remédier à cette situation.

37 Un élément de réponse peut être trouvé dans l’adaptabilité de la norme conçue par le législateur dans le cadre de l’adoption de la loi Pacte. Sur cet aspect « souple » de la loi, voir infra, « Finalités du Code Afep-Medef ».

38 Au Royaume-Uni, pays de naissance des codes de gouvernance, il est obligatoire de se référer au UK Combined Code, descendant du Cadbury Report et des codes Greenbury et Hampel. Selon l’étude de l’AMF (2016), c’est également le cas en Allemagne, en Belgique, en Finlande, au Luxembourg, au Pays-Bas et en Suède. Seules l’Espagne et l’Italie offrent, comme la France, la possibilité de ne se référer à aucun code.

39 Le seul « concurrent » du Code Afep-Medef est le code MiddleNext, encore que celui-ci ne vise pas exactement le même type d’entreprise puisqu’il constitue une alternative pour les petites et moyennes valeurs.

40 Voir notamment, Boisseau, 2018 : « Les investisseurs attendaient beaucoup de cette révision du code de gouvernance. “Nous aurions aimé qu’enfin le code propose de nous associer à sa rédaction et à son contrôle, comme cela se fait à l’étranger dans la plupart des pays. C'est une occasion ratée”, regrette Michael Herskovich, responsable de la gouvernance d’entreprise au sein de BNP Paribas AM. »

41 « Par surcroît, l’Afep et le Medef n’ont pas souhaité, contrairement au rapport Notat-Senard, instaurer un comité des parties prenantes. Ils déclarent même, dans la recommandation 2.3, que, le conseil agissant dans l'intérêt social de l’entreprise, “il convient d’éviter” – et non plus “il n'est pas souhaitable” comme cela était mentionné dans le texte soumis à consultation –, “en dehors de cas prévus par la loi, de multiplier en son sein la représentation d'intérêts spécifiques”. »

42 Communication de la Commission, Responsabilité sociale des entreprises…, précit., point 4.3.

43 Code Afep-Medef, art. 1.1, second alinéa.

44 Ibid., art. 12.1.

45 Ibid., art. 24.1.1, troisième alinéa.

46 Ibid., art. 15.2.

47 Ainsi, les Anglo-Saxons distinguent la corporate governance de la corporate social responsibility.

48 L’un des actes fondateurs du mouvement de la shareholder primacy est sans doute la publication, en 1994, de l’ouvrage de l’American Law Institute.

49 Article 1.7 du Code Afep-Medef, relayé, en matière de composition du conseil d’administration et des différents comités, par l’article 6.2 et, en matière de nominations de nouveaux administrateurs, par l’article 16.2.1.

50 On admettra que l’essentiel de la rémunération d’un dirigeant soit fixe, au motif qu’il est par ailleurs un important actionnaire de la société, ou encore qu’il cumule son mandat avec un contrat de travail, du fait de son ancienneté en tant que salarié.

51 Expression reprise de R. Lescure, rapporteur général, Assemblée nationale, Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, compte rendu n° 21, 14 septembre 2018.

52 CE, Avis sur un projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, précit., n° 102, p. 39 : « La mise en œuvre de cette disposition, dont les effets s’attachent au processus de prise de décision, doit tenir compte de la nature de l’activité, de la taille, de la forme juridique et de l’objet des sociétés concernées. »

53 Les atermoiements autour de sa rédaction en témoignent. Les débats ont porté sur les liens entre deux notions – l’intérêt social et la RSE – conçues comme antinomiques. Une première option consistait à utiliser une conjonction de coordination entre les deux facteurs, les situant alors, sur le plan logique, à un niveau similaire. La rédaction proposée dans le cadre du projet de loi n° 1088 du 19 juin 2018 était la suivante : « La société est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » (nous soulignons). La seconde option, finalement retenue, remplace cette conjonction par une virgule, permettant l’inféodation des considérations sociales et environnementales à l’intérêt social.

54 Le nouvel article 1844-10 du Code civil dispose : « La nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions des articles 1832, 1832-1, alinéa 1er, et 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général » (nous soulignons). La méconnaissance des dispositions relevant du second alinéa de l’article 1833 ne saurait constituer une cause de nullité de la société, le législateur ayant tenu à limiter les risques de nullité.

55 Remarquons toutefois que la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre avait prévu une amende civile pouvant aller jusqu’à dix millions d’euros en cas de manquement aux obligations de vigilance ainsi mises en place, mais le Conseil constitutionnel a censuré le dispositif. Sur ce point, voir infra, « Sanctionner la déviation ».

56 C. com., L. 225-102-1. Voir notamment Mourre (2018) ; Malecki (2017) ; Emeriau, Anaya (2017) ; Alexandre (2018).

57 « En ce qui concerne l’ajout […] du principe d’une “prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux” de l’activité d’une société lors de sa gestion […], l’impact juridique devrait être limité : l’obligation d’une prise en considération correspond en effet à une obligation de moyens […] », Étude d’impact du projet de loi Pacte, 28 juin 2018, p. 546, [https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/Media/Files/autour-de-la-loi/legislatif-et-reglementaire/etudes-d-impact-des-lois/ei_art_39_2018/ei_ecot1810669l_pjl_pacte_cm_18.06.2018.pdf], consulté le 25 février 2022.

58 Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques.

59 Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

60 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

61 Lorsque ce n’est pas le cas, notamment pour les acteurs soumis de facto aux politiques d’approvisionnement de leurs clients, il existe néanmoins une contrainte non juridique, induite par le pouvoir de marché de l’auteur de cette politique. Pourtant, la rupture des relations commerciales n’est pas assimilable à la sanction prévue en matière de codes de gouvernance, puisqu’il s’agit dans un cas d’une sanction d’ordre commercial, d’ordre financier dans l’autre. Ainsi, il nous semble nécessaire de distinguer pouvoir de marché et pouvoir du Marché.

62 Qu’il s’agisse d’organes relevant de l’autorité de l’État ou d’autorités administratives indépendantes.

63 Voir notamment Berthillon (2017).

64 Voir ainsi, MacNeil et Li (2006), qui démontrent que la tolérance des investisseurs face à l’absence de conformité est liée, dans une certaine mesure, à de bonnes performances financières. La perspective s’en trouve quelque peu inversée, car c’est la performance qui agit ici sur la perception de la gouvernance, les investisseurs considérant cette dernière comme un motif d’excuse de la « déviation ». En réintroduisant le critère de la qualité de l’explication en cas de déviation, Arcot et Bruno (2007) observent que les entreprises qui s’éloignent des recommandations du Combined Code (le code britannique de gouvernance d’entreprise) vont même jusqu’à surperformer lorsqu’elles prennent soin de détailler les raisons de l’inapplication des recommandations écartées. Démontrant empiriquement que les mêmes règles ne peuvent être uniformément appliquées à l’ensemble des sociétés cotées, ils en déduisent que « l’adhésion à des principes généraux entendus de bonne gouvernance d’entreprise ne mène pas nécessairement à des performances supérieures » (p. 1057).

65 L’article L. 225-37-4, 8° du Code de commerce dispose : « Lorsqu’une société se réfère volontairement à un code de gouvernement d’entreprise élaboré par les organisations représentatives des entreprises, les dispositions qui ont été écartées et les raisons pour lesquelles elles l’ont été, ainsi que le lieu où ce code peut être consulté, ou, à défaut d’une telle référence à un code, les raisons pour lesquelles la société a décidé de ne pas s’y référer ainsi que, le cas échéant, les règles retenues en complément des exigences requises par la loi [doivent être précisées] ».

66 Voir, en ce sens, Malecki (2014, p. 14) : « La science juridique pourra apporter la confiance, la rationalité et, surtout, des outils permettant d’engager des actions en responsabilité, de puiser dans la richesse du droit des contrats à même de donner force obligatoire aux nombreux engagements, de trouver le maillon manquant dans une chaîne de responsabilités, de redécouvrir à la fois les notions d’indivisibilité, d’ensemble contractuel, d’aménagements contractuels de tous ordres, de clause pénale, de condition purement potestative, de protection de la partie prenante la plus faible… La “séquence du droit”, qui n’est en réalité que le retour du droit dans une matière dominée par les sciences du management ou sciences économiques, entraînera dans son sillage des notions, principes, manières de raisonner qui tantôt s’entrechoqueront, tantôt se compléteront. »

67 Pour une description de ces multiples interactions concurrentielles, voir notamment Hennebel et Lewkowicz (2007, p. 147‑225, spéc. p. 173).

68 Par exemple, des rôles respectifs des autorités administratives indépendantes et de l’État en la matière.

69 Voir supra, Introduction.

70 Voir ainsi l’ancien article 24.3 de la version de juin 2013 du Code Afep-Medef.

71 Lors de la révision du Code de novembre 2016, article 26.2 (les guillemets matérialisent la difficulté qu’il y a à concevoir une disposition réellement impérative dans un instrument basé sur le principe comply or explain).

72 En mai 2016, les actionnaires s’étaient prononcés à 54,12 % contre la rémunération de Carlos Ghosn, mais le conseil d’administration, réuni en l’absence du président-directeur général, a décidé, sur proposition du comité des rémunérations, d’approuver la rémunération de ce dernier.

73 Voir supra, « Hétéronomie du Code Afep-Medef ».

74 Cet événement tragique a également donné lieu à un certain nombre d’accords à l’échelle internationale relatifs aux conditions de travail au Bangladesh. Voir notamment, sur ces derniers, Belporo (2016). L’auteur remarque que ces divers instruments « visent ainsi à pallier les limites des codes de conduite qui sont généralement unilatéraux et qui ne favorisent pas forcément tous les intérêts des travailleurs visés » (p. 723).

75 Il ne s’agit pas ici d’en faire un exposé exhaustif, tant ces avantages peuvent prendre des formes multiples. Pour un exemple de réduction de prime d’assurance aux sociétés disposant d’un code de conduite audité, voir notamment Hennebel et Lewkowicz (2007, p. 155). D’autres raisons, tel le fait de « signaler aux actionnaires, aux activistes et aux médias que la société est engagée dans une démarche éthique pour qu’en cas de crise, lorsque la société est accusée d’avoir un comportement non éthique, ce comportement soit perçu comme une exception », ou encore de « créer une culture d’entreprise cohésive » (Carasco, Singh, 2003).

76 Voir infra, « Confusion normative et crédibilité de la RSE ».

77 D’autant plus appréciable d’un point de vue plus général qu’il aboutit à une harmonisation « par le haut ».

78 Selon la classification de R. Lanneau (2013), c’est de « sécurité juridique matérielle » dont il s’agit, par opposition aux sens de l’expression tournés vers la procédure et l’effectivité du droit, lesquels sont nécessairement inopérants dans un système normatif pour l’essentiel déjudiciarisé.

79 Ici entendue comme l’organisation rationnelle des différents vecteurs de la RSE.

80 Désormais codifiées à l’article L. 225-102-1 du Code de commerce.

81 Ainsi de la possibilité de se doter d’une raison d’être et de la société à mission (art. 1835 du Code civil).

82 Ainsi de la modification de l’article 1833 du Code civil.

83 Ainsi de la mise en place de labels étatiques.

84 Voir supra, « Obligatoriété de la loi ».

85 L’expression est ici entendue dans son sens classique de « passager clandestin » et vise à désigner les hypothèses dans lesquelles une entreprise cherche à retirer un bénéfice réputationnel d’une démarche RSE sans pour autant joindre les actes à la parole. L’exemple le plus connu est sans doute le « greenwashing », mais il ne fait aucun doute que de telles pratiques prospèrent dans d’autres domaines. Notons d’ailleurs que les codes de gouvernance semblent susceptibles de constituer un outil privilégié pour de tels comportements. En effet, l’adhésion à un code de gouvernance peut aisément laisser croire à l’adoption implicite d’une démarche RSE, alors même que celle-ci, bien que prévue par le code, risque d’être tout simplement évincée, et ce dans le respect du principe comply or explain. Dans la mesure où il est plus qu’improbable que les consommateurs consultent les documents de référence des entreprises dont ils sont clients.

86 Voir notamment US Supreme Court, Nike Inc. v. Kasky, 26 juin 2003, 02-575, 539 US 654.

87 Cass. crim., 25 septembre 2012, Erika, n° 10-82.938, Bull. crim., n° 198 ; Recueil Dalloz, 2012, p. 2673, obs. L. Neyret ; ibid., p. 2675, note V. Ravit et O. Sutterlin ; ibid., p. 2711, note P. Delebecque ; JCP G, 2012, doctr. 1243, note K. Le Couviour ; BJS Soc., 2013, p. 69, note F.-G. Trébulle ; Envir., 2013, étude 2, M. Boutonnet ; Gaz. Pal., 24 octobre 2012, p. 8, note B. Parance ; Dr. envir., décembre 2012, n° 207, p. 371, obs. M.-P. Camproux-Duffrène, V. Jaworski et J. Sohnle ; AJCT, 2012, p. 620, obs. M. Moliner-Dubost ; RJE, 2013, p. 457, obs. M.-P. Camproux-Duffrène et D. Guihal.

88 Directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, art. 6.2 : « Une pratique commerciale est également réputée trompeuse lorsque […] elle implique b) le non-respect par le professionnel d’obligations contenues dans un code de conduite par lequel il s’est engagé à être lié dès lors que i) ces engagements ne sont pas de simples aspirations, mais sont fermes et vérifiables et ii) que le professionnel indique, dans le cadre d’une pratique commerciale, qu’il est lié par le code. »

89 Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).

90 RDPG, articles 2 et 3.

91 En effet, celui-ci dépend essentiellement de l’idée que l’on se fait des problématiques qu’elle englobe. Si l’on considère que seuls les acteurs d’une importance systématique sont à la fois responsables et en mesure de remédier aux difficultés sociales et environnementales de notre temps, alors sans doute faut-il privilégier une approche par seuil. Si, à l’inverse, on considère que toutes les entreprises ont, dans des proportions variées, un rôle à y jouer, alors c’est une approche identique à celle du RGPD qu’il faut privilégier. À notre sens, la question ici n’est plus d’ordre légistique, mais bel et bien politique, ce qui nous conduit à la laisser pleinement ouverte.

92 RDPG, article 28 : « Le responsable du traitement met en œuvre des mesures techniques et organisationnelles appropriées pour s’assurer et être en mesure de démontrer que le traitement est effectué conformément au présent règlement. Ces mesures sont réexaminées et actualisées si nécessaire. »

93 Le RGPD impose la nomination d’un data protection officer lorsque l’entreprise en cause, quelle que soit sa taille, poursuit pour l’essentiel des activités de traitement qui, « par leur nature, leur portée ou leur finalité, exigent un suivi régulier et systématique à grande échelle des personnes concernées » (art. 37.1.b.).

94 RDPG, article 38, 3° : « Le responsable du traitement et le sous-traitant veillent à ce que le délégué à la protection des données ne reçoive aucune instruction en ce qui concerne l'exercice des missions. Le délégué à la protection des données ne peut être relevé de ses fonctions ou pénalisé par le responsable du traitement ou le sous-traitant pour l’exercice de ses missions. Le délégué à la protection des données fait directement rapport au niveau le plus élevé de la direction du responsable du traitement ou du sous-traitant. »

95 RGPD, articles 4.12, 33 et 34, considérants 85 à 88 ; Groupe de travail, article 29 sur la protection des données, Lignes directrices sur la notification des violations de données à caractère personnel conformément au règlement (UE) 2016/679, 3 octobre 2017, WP 250.

96 L’article 174 de la loi Pacte prévoit, dans l’année de l’entrée en vigueur de la loi, la remise d’un rapport relatif à la création d’une politique de labellisation publique.

97 Loi Pacte, art. 176.

98 Cons. const., décision n° 2017-750 DC du 23 mars 2017, Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

99 « Subis les conséquences de ta propre loi. »

Citer cet article

Référence électronique

Florent Berthillon, « La RSE au cœur de la concurrence normative : pour une approche intégrée de ses sources », Amplitude du droit [En ligne], 1 | 2022, mis en ligne le 21 juin 2022, consulté le 03 décembre 2024. URL : https://amplitude-droit.pergola-publications.fr/index.php?id=283 ; DOI : https://dx.doi.org/10.56078/amplitude-droit.283

Auteur

Florent Berthillon

Docteur en droit privé, qualifié aux fonctions de maître de conférences, Université Jean Moulin Lyon 3 ; florent.berthillon@gmail.com

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